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le dernier mot.

nous-mêmes ; l’homme y perd rapidement toute conscience, tout sens moral, jusqu’à la plus vulgaire honnêteté ; on n’est plus sûr de qui que ce soit ; la confiance réciproque disparaît avec les autres vertus ; et, si des lois antérieures n’existaient encore qui préservent la société d’une barbarie complète, on y verrait tous les crimes impunis. Le niveau général des sciences et des qualités morales diminue : dans ces pays il ne saurait y avoir de penseurs ni de grands hommes en aucun genre, car on n’y apprend que ce qu’il faut pour n’être inférieur à personne, savoir protéger ses intérêts et atteindre à cette hauteur commune où s’arrêtent également tous les fronts, où battent également tous les cœurs.

Hélas ! hélas ! les hommes n’avaient donc pas encore assez de moyens d’abréger et de souiller leur vie, ils n’avaient pas fait assez encore pour effacer en eux tout vestige de l’empreinte divine, de ce caractère glorieux qui les sépare du reste de la nature et leur donne quelque chose de Dieu même, il fallait qu’une école maudite vînt leur démontrer savamment qu’ils n’ont pas même de pensée, que tout en eux est une fonction, que leur libre arbitre n’est qu’un mot chimérique, qu’ils ne veulent pas ce qu’ils font, que le système complet de l’univers n’est qu’une machine aveugle, inconsciente, dont l’homme est une des innombrables molécules. Ah ! périsse la création entière s’il en est ainsi, si nous n’avons pas d’âme, nous qui aimons, nous qui espérons, et dont les désirs s’élèvent vers une perfectibilité indéfinie. Alors mettons au plus vite un terme à cette existence pleine d’horreurs, de craintes et de souffrances, ne la propageons pas, ne la transmettons pas à d’autres, rentrons au plus vite et de nous-mêmes dans le