Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
VOYAGES.

au terme de laquelle le blanc isolé, sans protection, a fini par l’emporter sur les tribus d’Indiens aujourd’hui anéanties ou rejetées dans les régions presque inhabitables du Nord ?

L’Ouest n’est plus rien de tout cela, il n’y a plus de far west. Le chemin de fer a tout changé ; il fallait autrefois quatre à cinq mois pour se rendre en Californie par terre ; il ne faut maintenant que neuf jours en partant de Montréal ; c’est prosaïque, mais c’est plus sûr. L’imagination n’a plus de champ ; en vain elle veut peupler cette vaste étendue de dangers, d’embûches, d’attaques soudaines faites par des Indiens sortant comme de sous terre, elle n’arrive qu’à se convaincre de ses puérilités et de son délire. Où il n’y avait autrefois que des Territoires, il y a maintenant des États ; la civilisation, encore jeune il est vrai, grossière, trop pressée pour prendre des formes, dure et aride, a remplacé la barbarie et l’état de guerre continuel de ces sauvages étendues. On ne voit plus d’Indiens que des misérables en haillons qui viennent mendier à l’arrivée des trains ; les mineurs et les aventuriers seuls ont gardé leur aspect farouche. Le désert américain a des petits villages échelonnés sur toute la ligne du chemin de fer ; quelques-uns même de ces villages, plus grands que les autres, prennent orgueilleusement le nom de villes, comme Cheyenne, Platte, Laramée, Ogden…… Rien ne les distingue les uns des autres ; sortis du désert, ils en ont tous la monotonie et l’aspect uniforme : un petit groupe de maisons blanches bâties sur le sable, sans un arbre, sans le plus petit ruisseau pour en rafraîchir l’aridité, voilà ce que c’est que tous ces villages jusqu’à ce qu’on ait atteint le versant des Sierras-Nevadas, c’est-à-dire à cinq cents lieues de distance au delà des prairies.