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VOYAGES.

Je ne sais ce que sont devenus les milliers et les millions de buffles qui parcouraient autrefois les plaines comme des ouragans de cornes et de pattes, toujours est-il qu’aujourd’hui on ne peut plus en voir un seul ; ils se sont réfugiés vers le Nord-Ouest, en attendant que le chemin de fer du Pacifique Canadien les en chasse à son tour, et alors aura disparu peut-être à jamais cette race étrange de bêtes-à-cornes, et avec elle la dernière tribu d’Indiens guerriers. Quant au grand chemin du Pacifique Américain, sur lequel nous avons en Canada des notions si restreintes et même si fausses, il est temps sans doute que j’en dise quelque chose.

Et d’abord, qu’on dépouille son esprit de toute idée poétique, qu’on s’arrache à la fascination et au prestige de la distance, et qu’on se prépare à voir en face la plus âpre nature comme aussi les populations les plus dures d’aspect, de formes et de langage. Quand on a dépassé Chicago de soixante à quatre-vingts lieues, il faut absolument mettre de côté le vieil homme, oublier tout ce qu’on a été, ce que l’éducation, les relations, les habitudes et les préjugés vous ont fait. Il faut oublier qu’il y a de par le monde, dans des pays antiques et fort vénérables en vérité, des différences entre les hommes, des distinctions sociales, des classes étagées que l’on numérote, première, deuxième, troisième, jusqu’à ce qu’on arrive au bas peuple qui, lui, n’a pas de numéro, qui est simplement la multitude, chose trop vaste pour qu’on lui mette une étiquette ; il faut oublier d’avoir des manières ou plutôt des façons, sortes de câlineries toutes d’apparence