Page:Buies - La Province de Québec, 1900.djvu/88

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celui-là précisément qui agrandissait la patrie, qui créait des foyers nouveaux, qui se sacrifiait obscurément, sans connaître même la vertu de son sacrifice, à l’affermissement et à l’expansion de la nationalité canadienne, allait être forcé par ses compatriotes eux-mêmes à déserter cette œuvre généreuse et à prendre, aussi lui, le chemin de cet exil déguisé qui conduisait aux manufactures américaines, c’est-à-dire à l’effacement de la personne, à l’oubli de la famille, à l’abandon de toute idée de retour, effectuant ainsi et consommant une perte irréparable pour la province française de l’Amérique britannique, une diminution de force que rien n’aurait pu compenser.




Cependant, et malgré tout, la colonisation avançait. Péniblement, à pas comptés, elle remontait le cours des rivières, pénétrait dans les vallées et les gorges d’un accès relativement facile et d’une fertilité reconnue. À travers forêts et montagnes, la colonisation avançait, boiteuse et souffreteuse, mais elle avançait. Déjà l’on avait laissé loin derrière soi les campagnes riveraines du fleuve et les derniers rangs des paroisses les plus profondes ; déjà l’on avait entamé le nord, le nord lointain, bien au delà des dernières concessions, et l’on avait escaladé les premiers contreforts des Laurentides, en semant au hasard, en maint endroit, le grain qui allait remplacer les bataillons touffus des merisiers, des bouleaux et des conifères. Déjà, en maint endroit, se dessinaient de larges éclaircies où, d’un sol formé et nourri de ses propres débris depuis l’origine des mondes, surgissaient et montaient de