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Une législation atroce, produit de l’union de l’Église et de la monarchie, succède à la croisade. L’infraction à l’orthodoxie devient un crime contre l’État ; retranché de l’Église, l’hérétique est aussi retranché de l’État. Les ordonnances de saint Louis l’appellent faydit, c’est-à-dire réfractaire de la société humaine, religieuse et politique, et comme tel banni de la terre des vivants. Il n’a plus le droit de vivre. Ses biens sont confisqués, sa maison est démolie, et sur son emplacement on ne rebâtira jamais.

Pour tomber dans cette condition effrayante, il suffit d’un jugement du tribunal de l’inquisition. La procédure suivie envers l’accusé, traité tout d’abord en coupable, lui enlève tout moyen de défense ; il ne connaîtra ni son dénonciateur, ni les témoins. Même, lorsqu’il se reconnaît hérétique, on ne se fie pas à sa parole, on veut lui arracher l’aveu par la torture. Les peines portées sont de trois sortes ; la mort par le feu pour celui qui a occupé un ministère dans la secte, l’immuration pour ceux qui ne renoncent pas à leur croyance, les pénitences publiques au choix de l’Église pour ceux qui y renoncent, pour les suspects, et pour tous ceux qui ne détestent pas l’hérésie et les hérétiques.

L’immuration devient si fréquente que les prisons, les murailles, étant insuffisantes pour contenir tous les condamnés, le concile de Béziers ordonna, en 1242, que le tiers des biens confisqués sur les hérétiques serait consacré à en construire de nouvelles. Dans toutes les villes du midi, et même dans les villages, s’élevèrent des édifices massifs, dont les murs s’ouvraient et se refermaient sur une population maçonnée de vivants et de cadavres.

Quant aux pénitents, séparés du reste de leurs compatriotes, portant un costume particulier et sur le dos une large croix rouge, qui les faisait reconnaître, parqués dans des villages isolés pour être plus facilement surveillés, ces parias de l’Église devinrent un objet d’horreur. On se détournait d’eux dès qu’on apercevait leur croix rouge, et si quelqu’un leur témoignait de la pitié, l’inquisition réprimait ce sentiment par une pénalité spéciale. Les pénitents occupaient dans l’église une place à part, la place des infâmes et des abominables, où le curé venait les compter chaque dimanche. L’Église semblait tirer gloire de ces maudits rentrés dans ses cadres, et comme le triomphateur romain, elle les attachait à son char et les montrait dans toutes ses cérémonies, pour faire preuve de sa force.

On attribue à la malédiction qui pesait sur les pénitents l’origine d’une population dégradée et affligée de maladies endémiques qu’on rencontre encore aujourd’hui dans les Pyrénées. Sous le poids de l’horreur et du mépris, ils se retirèrent peu à peu des plaines et des