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lieux habités ; ils n’avaient pas recouvré leurs biens confisqués, quoique rentrés dans l’église, et ils gagnèrent les vallées perdues, où ils ont formé des colonies maudites, connues sous le nom de cagots. Là ils se livrèrent à des pratiques superstitieuses d’où leur est venu le nom de cagots, changé plus tard en celui de caffos, qu’on donne encore aujourd’hui aux goitreux et aux crétins des Pyrénées.[1]

« On est étonné qu’en présence des effroyables oppressions que l’union du temporel et du spirituel a produites à travers les âges, l’État moderne n’ait pas encore rompu ce mariage adultère. » (Hudry-Menos. L’Israël des Alpes.)

Dans chaque paroisse de Provence, après la croisade Albigeoise, il se forma une commission composée du curé, d’un familier de l’inquisition et d’un officier royal, pour faire la chasse des hommes. Le concile d’Alby, en 1254, fixa une prime de vingt sols tournois pour chaque hérétique saisi, et par un décret du concile de Béziers, le seigneur qui avait entravé la chasse sur ses terres était passible d’une amende de 1,000 marcs d’argent.

Quelques uns des fugitifs, ayant trouvé asile dans les églises, le pape Martin iv abolit pour les hérétiques, par un bref du 21 8bre 1281, ce droit d’asile déclaré inviolable au moyen âge pour les plus grands criminels.

Cette persécution entraîna à l’étranger la population laborieuse du midi : actifs et économes par zèle religieux, les sectaires s’étaient emparé de l’industrie des laines et des soies, déjà florissante ; ils avaient fondé en plusieurs villes des fabriques de tissage dont tous les ouvriers étaient engagés dans le mouvement religieux ; de là le nom de tisserans qui leur fut donné. L’hérésie s’était confondue avec l’industrie du tissage, et il suffisait d’exercer l’une pour être accusé d’appartenir à l’autre.

Les Albigeois exterminés, un noble peuple réduit à la plus hideuse dégradation, voilà ce qu’avait fait un roi de France régnant de par le droit divin, voilà ce qu’avait fait une royauté constituée sur le principe catholique, voilà ce qu’avait fait une organisation sociale reposant sur le principe d’autorité.

Et ce principe est partout, quelles que soient les croyances, barbare, oppressif, aveugle. Il l’était chez les Juifs de l’antiquité ; il l’est chez les Turcs, chez les Russes dont l’empereur est pape et bourreau, il l’est surtout dans la libre Angleterre qui a commis l’ini-

  1. P. de Marca — Histoire de Béarn. Francisque Michel — Histoire des races maudites, en France et en Espagne.