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Toute l’après-midi, j’ai attendu la visite de Mgr  Bourget, mais je n’ai pas été plus favorisé que le séminaire de Saint-Sulpice auquel il refuse obstinément le trésor de sa présence réelle, mais non efficace, parce que le séminaire ne veut pas lui donner la moitié de ses biens.

J’aurais cela de commun avec le séminaire, si nous n’avions pas déjà cela même de très différent, qu’il est très riche et que je suis très pauvre.

C’est peut-être pour cette dernière raison que Monseigneur n’est pas venu me voir.

Je me demande pourquoi l’on se donne tant la peine d’être agréable aux femmes. Rien n’est plus hétérodoxe.

En effet, saint Jean Chrysostôme, père de l’Église, ne disait-il pas que la femme est la souveraine peste et le dard aigu du démon ? Saint Augustin n’affirmait-il pas que la femme ne peut ni enseigner, ni témoigner, ni compromettre, ni juger ?

Et saint Jean de Damas, pas du tout galant, qui disait que la femme est une méchante bourrique, un affreux ténia qui a son siège dans le cœur de l’homme, fille du mensonge, sentinelle avancée de l’enfer, indomptable Bellone, ennemie jurée de la paix !

Et saint Jérôme qui la comparait à un scorpion, au total une dangereuse espèce !

Plein de ces maximes, j’ai refusé l’honneur de ma visite aux dames de Montréal, ne voulant pas contredire les saints pères, et trop galant toutefois pour m’exposer à leur donner raison.

Ah ! s’il en était des femmes du Canada comme de celles des États-Unis, je ne dis pas !

Là, le mariage est devenu, dans toute l’étendue de l’Union, un contrat libre, exclusivement civil et privé : la femme mariée possède une capacité absolue en ce qui touche sa personne ou ses biens ; elle administre sa fortune, quand sa fortune est indépendante de celle du mari ; elle achète, elle aliène, elle fait ou ne fait pas de commerce à son gré ; et si elle fait un commerce, si elle entreprend une industrie, elle engage sa responsabilité et sa fortune.

« L’épouse, la mère, dit M. Colfavru, est l’égal de l’époux, du père. Leur action se combine sans se subordonner, et, chacun gardant sa fonction, ce devoir s’accomplit sans contrainte, comme le droit se pratique sans conflit. »

Mais en Canada, la femme n’ayant ni droits politiques, ni droits civils, ni droits sociaux, n’ayant tout au plus que le droit de nous faire enrager à tour de rôle et de faire des confitures, je la considère