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abusent de leur autorité et de leur force pour sévir cruellement contre un être plus faible qu’eux. Vous n’avez donc pu déléguer aux PP. Jésuites un pouvoir que vous-même n’avez pas. Ce n’est pas ainsi que l’on peut espérer former l’intelligence et le cœur des enfants (Applaudissements dans l’auditoire)

Oh ! quant à cela, ce n’est pas du tout ce que les Jésuites cherchent ; ce qu’ils veulent, ce n’est pas de former, mais de déformer l’intelligence et le cœur.

Aussi, voyez comme ils réussissent.

Voyez comme la jeunesse canadienne, élevée par les Jésuites depuis vingt ans, est craintive, molle, inquiète du regard d’autrui, résignée au joug, incapable d’un effort, pliée dans la soumission. C’est parce que, par les corrections humiliantes, par l’habitude de l’espionnage et l’étouffement des instincts vigoureux, on a tué en elle tout sentiment d’orgueil et de dignité.

On vous fait mettre à genoux, on vous fait baiser la terre, on vous soumet à toutes sortes de pratiques humiliantes, on vous fouette, afin que vous deveniez une docile créature, pâte malléable à discrétion, et c’est ainsi qu’on jette sur l’arène du monde des générations désossées, une jeunesse tellement habituée à suivre l’œil du maître, qu’elle est incapable de rien faire par elle-même et rampe aux pieds du clergé pour avoir un appui.

M. le président procède à l’interrogatoire des prévenus.

François Commire, âgé de 35 ans, né à Muret (Haute Garonne) sous-préfet des études à l’école de Tivoli.

D. — Vous êtes prévenu d’avoir, le 22 novembre dernier, porté des coups et fait des blessures au jeune Joseph Ségéral, âgé de treize ans.

— R. — Le cas n’est pas niable, monsieur le président.

D. — Vous avez été cruel pour cet enfant. Vous l’avez couvert de contusions. Le matin vous lui avez tiré les cheveux en le mettant au cachot ; vous le laissez de 8 heures du matin à 4 heures de l’après-midi, sans boire ni manger ; à 4 heures, vous lui donnez du pain sec ; et, à 10 heures, tout cela n’a pas suffi, vous arrivez dans sa cellule, vous le faites déshabiller, vous retroussez sa chemise, vous le frappez à coups redoublés. Il vous échappe, vous le poursuivez, vous le rejoignez, le jetez sur un lit et vous le frappez encore, en étouffant ses plaintes, en lui fermant la bouche, jusqu’à ce qu’enfin il vous échappe encore et gagne son lit à travers l’obscurité. N’avez-vous pas pensé que cet appareil, cette succession de châtiments pourraient influer d’une façon désastreuse sur le cerveau de l’enfant, et, qui sait, peut-être le rendre fou ? N’était-ce pas assez de la première punition ?

— R. M. le président, la première punition eût pu suffire pour une faute isolée. Mais il y avait des fautes nombreuses. (Les Jésuites