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Quels progrès attendre d’un pays où les hommes sont divisés mortellement, non pas seulement par classes, mais par sectes, par races, par les plus haineuses antipathies de nationalité et de religion ?

Si ces haines réciproques, toujours irritées, toujours s’irritant, créaient une émulation, une rivalité ambitieuses, je dirais : « Nous sommes sauvés. » Mais loin de là, elles arrêtent tout ; il n’y a plus rivalité, mais un conflit mortel ; on ne cherche pas à devancer son ennemi, mais à le détruire.

Eh quoi ! il n’y a pas jusqu’aux institutions de charité ou de bienfaisance qui aient une dénomination religieuse. On dit : « L’asile protestant de… L’orphelinat catholique de… » et ces distinctions odieuses se perpétuent dans les lois, expression invariable des mœurs.

Jeune soldat, où vas-tu ?

— Je vais voir la petite bonne qui m’attend ce soir rue S…., pour aller faire un tour.

— À quoi penses-tu, jeune fille aux yeux d’azur, au front doux et rêveur ?

— Je pense au capitaine X, qui se trouvera ce soir au bal de M. Z., où il me fera danser.

Les jeunes filles du Canada, charmantes, élevées au Sacré-Cœur ou à la Congrégation, sachant tricoter, dansant assez bien le quadrille, très en état de causer pendant une demi-minute sur le froid de la veille et le souper du dernier bal, portées vers les grandes choses, telles que les robes à longues traînes, conduisant pas mal les chevaux, sont en outre amoureuses des militaires, qui sont de beaux hommes en général, bien peignés, avec des gosiers sonores.

On présentait dans un des derniers bals à une jeune fille connue pour son engoûment de l’épaulette, le fils d’un lord anglais, appartenant au régiment de…

La jeune demoiselle ravie, transportée, lui saute au bras, et voilà de suite une ardeur de paroles, de sourires, de questions provocantes à mettre le feu à vingt batteries.

— Vous êtes du 60e, n’est-ce pas ?

— Non.

— Du 78e, alors ?

— Pas davantage.