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Est-ce parce que notre population travailleuse, décimée par la misère, émigre avec douleur aux États-Unis ?

Est-ce parce que des milliers d’émigrants européens passent à notre nez tous les ans, pressés de se rendre chez les Américains ?

Est-ce parce que ?… mais je m’arrête. Nous avons en vérité trop de sujets d’être heureux, et je crains, en les énumérant, d’inspirer l’orgueil de la prospérité qui est toujours funeste… même aux grands peuples.

Une ombre vient se mêler à nos joies. Le nouveau gouverneur-général, Sir John Young, au lieu d’être un duc ou comte, est tout simplement un Sir.

Voici comment le Journal de Québec exhale son amertume :

« On trouvera peut-être un inconvénient dans la parfaite égalité sociale existant entre le gouverneur-général et ses ministres. Sir John Young est un baronet, M. Cartier est un baronet : Sir John Young est chevalier commandeur du Bain, Sir John A. Macdonald est chevalier commandeur du Bain. Anciennement, nous avions pour gouverneurs, dans les colonies, des comtes, des ducs et jusqu’à des princes du sang royal ; c’était lorsque notre population se comptait par milliers. Aujourd’hui que nous sommes un peuple de quatre millions, et presque une nation, la mère-patrie est à notre égard d’une décourageante parcimonie. Tel n’est pas le moyen, dans tous les cas, de propager les idées monarchiques parmi nous. »

Vraiment, ça n’est pas la peine d’expédier un gouverneur d’Angleterre s’il n’est que l’égal, socialement, de M. Cartier. Mais je ne m’arrête pas à ces considérations.

Je ferai remarquer seulement que les États-Unis, qui sont une nation de plus de quatre millions d’hommes, ont un président qui est un ancien tailleur, qu’il a suffi d’un mot de cet ancien tailleur pour faire s’incliner devant lui le puissant empereur de la France, que le président qui l’a précédé était un ancien bûcheron, et que ses ministres étaient ses égaux à tous les points de vue.

Comment veut-on que l’Angleterre ne se contente pas de nous envoyer un Sir, quand elle voit les États-Unis se contenter d’un bûcheron ?

Bah ! on est toujours assez noble pour recevoir 10,000 louis de traitement.

Quant aux institutions monarchiques, il est malheureux que nous n’en prenions pas le goût à mesure que les autres peuples le perdent.

Mais si nous sommes condamnés à rester derrière tout le monde, au moins ne tirons pas trop sur la queue pour ne pas l’arracher. Nous resterions tout seuls.

Je viens de voir le prospectus d’un nouveau journal qui s’appelle l’Ave Maria et qui est fondé dans les intérêts de la Sainte Vierge.