carême est très remarquable. Soit disposition religieuse, soit influence de tempérament et de climat, ils furent de tout temps plus contemplatifs que les Occidentaux, et, chez eux, l’abstinence et la méditation semblent inséparables. Outre le carême de Pâques, il leur arriva d’en observer quatre autres de sept jours chacun : celui des Apôtres, celui de l’Assomption, celui de Noël et celui de la Transfiguration. Leurs moines en ajoutaient un cinquième et un sixième.
Cependant il faut rappeler aussi que les premiers moines latins eurent jusqu’à trois carêmes de quarante jours, à différentes époques de l’année. Les prescriptions de l’Église ne se bornaient pas seulement à l’abstinence de la chair et du vin, et à un unique repas après vêpres vers cinq ou six heures du soir, elles s’étendaient à tout ce qui pouvait être l’objet d’une satisfaction physique, à toutes les commodités de la vie. Il fallait se priver de sommeil, de récréations, de promenades, de visites, de conversations, s’abstenir d’un acte quelconque qui, procurant une douceur, un soulagement, eût été contraire à l’esprit de mortification et de pénitence. Le bain, si nécessaire dans un temps où l’usage du linge n’existait pas, était interdit avec tout le reste. La continence était recommandée d’une manière expresse aux personnes mariées, et c’est de là que vient la défense, qui subsiste encore aujourd’hui, de célébrer des mariages pendant le carême.
Il est impossible de ne pas être frappé du caractère de cette sévère discipline. Hostile à la chair, impitoyable pour les instincts végétatifs de l’homme, elle cherchait à donner à l’esprit sur le corps la domination la plus absolue. Le monde païen avait péché par l’excès contraire. Pour la formation d’une société nouvelle et de mœurs meilleures, il était sans doute nécessaire qu’une rude épreuve de ce genre vengeât l’esprit de la matière et élevât une partie du genre humain bien au-dessus du niveau moral des sociétés polythéistes de l’antiquité. Le carême devint peu à peu moins rigide. Il fallait qu’il fût tièdement observé à l’époque de Charlemagne, pour que ce prince trouvât nécessaire d’introduire alors la peine capitale contre la violation, par mépris, de cette partie de la discipline religieuse. Au XIIe siècle, l’usage était déjà de ne pas attendre jusqu’au soir pour manger ; le repas fut insensiblement avancé jusqu’à midi. La collation, ou petit souper, fut empruntée aux religieux, qui, après avoir assisté le soir à la lecture des conférences des Pères, appelées collationes, buvaient, les jours de jeûne seulement, un peu d’eau ou de vin. Sous ce nom modeste on finit par faire un second repas complet. Depuis longtemps les évêques accordent la permission de faire gras certains jours de la semaine à tous les habitants de leurs diocèses et des dispenses particulières de jeûne et d’abstinence aux malades et aux infirmes. Aujourd’hui le régime sec, la xérophagie, comme on disait anciennement dans l’Église, serait souvent un véritable suicide pour tant de gens qui ont besoin de toutes leurs forces pour travailler, et à qui les privations les plus dures s’imposent assez d’elles mêmes.