Page:Buies - La presse canadienne-française et les améliorations de Québec, 1875.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 8 —

faire une statue sans avoir appris la sculpture ? Non, eh bien ! de quel droit alors osez-vous écrire sans savoir au moins les premiers éléments de la langue ? De quel droit entrez-vous sur ce terrain, qui est une arène de discussion d’où la lumière doit jaillir incessamment de chaque effort de l’esprit, et non pas un champ de massacre, un rendez-vous populacier où le casse-tête et la massue sont les seules armes ? Tout journaliste est un soldat et doit porter un drapeau ; mais un soldat n’est pas un boucher ; le journaliste est l’homme militant par excellence, il doit être toujours prêt à accepter les combats de la plume, mais depuis quand, pour combattre, a-t-on vu qu’il ne fallait pas y être exercé, connaître au moins le maniement de ses armes ? Depuis quand est-il admis que les combattants de la plume et de l’idée peuvent être des assommeurs qui empruntent aux charretiers leur vocabulaire et se le jettent à la face ?

La lutte pour le journaliste est de toutes les formes ; il doit non seulement savoir défendre une opinion avec des arguments et non pas des coups de boutoir, mais il doit encore pouvoir faire la critique, apprécier avec indépendance autant qu’avec connaissance de cause les œuvres de l’esprit, ce qui est une autre manière d’avoir des opinions et de les exposer ; mais où est la critique, où sont dans nos journaux les appréciations qui supposent de l’étude et une culture sérieuse ? Tout est réduit au même niveau, et si tel ou tel fait un chef-d’œuvre, il recevra la même somme de louanges que le barbare qui, à côté de lui, accouchera d’une énormité. La critique d’œuvre est rendue tout-à-fait impossible parmi nous par des difficultés qu’il est trop dangereux d’aborder de front ; pour indépendante, on ne peut pas espérer qu’elle le soit, il faudrait alors que les journaux fussent indépendants aussi eux dans l’ordre des choses de l’esprit. Et c’est là le plus grand malheur peut-être de notre presse qu’il ne soit pas permis d’y exprimer une opinion