Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

par eux en 1848, et tombé quatre ans après sous les forces réunies du clergé, du pouvoir, et de la trahison, comportait toute une réforme dans l’ordre social, et un avenir plein de grandeur pour la jeune colonie.

C’en était trop déjà pour l’ombrageux despotisme des vautours de la pensée. Quoi ! la jeunesse échapperait à l’autorité de l’église qui, en sa dualité de gardienne infaillible de la foi et des mœurs, doit avoir la direction absolue des sociétés ! Quoi ! il se formerait une institution, fut-ce la plus catholique de toutes les institutions, qui oserait agir sans se mettre sous le contrôle immédiat du clergé, qui discuterait des questions de tous genres, et formerait des hommes publics, sans en avoir obtenu la permission de l’êvêque ! Mais à quoi sert donc d’accaparer l’enfance à son berceau, de conduire, la main haute, les écoles et les institutions des campagnes, d’être les maîtres absolus de l’instruction secondaire, de s’immiscer à tout instant dans la politique, de posséder des collèges fondés dans le seul but de faire des prêtres, et de façonner toutes les générations à la soumission aveugle envers l’autorité ecclésiastique, si un groupe de jeunes gens, n’ayant d’autre but que d’être utiles, se mêlent d’éclairer le peuple, d’affranchir l’éducation, d’inspirer le patriotisme et l’esprit d’indépendance ? À quoi sert donc de proclamer sans cesse que l’ignorance est un bonheur, que tous les abus sont sacrés parce qu’ils proviennent du pouvoir, que les citoyens qui veulent la guérison des maladies sociales sont autant de révolutionnaires furibonds, s’il se trouve des hommes, méconnaissant ces doctrines sacrées, qui osent conseiller au peuple de s’en affranchir, de réclamer des réformes, et de leur confier des mandats politiques ?

Alors on vit se déchaîner l’orage du fanatisme, de toutes les servilités cupides, et le torrent sourd de la calomnie échappé du haut des chaires et s’épanchant à flots intarissables dans le sein des familles. Alors commença une croisade acharnée, impitoyable, contre l’institution qui avait formé cette jeunesse intrépide ; les églises retentirent d’anathèmes, et la foudre sainte commença de gronder sur toutes les têtes qui se dressaient encore dans la déroute des intelligences.

On eut peur. L’occulte puissance du clergé répand toujours une terreur indomptable. Résister à un ennemi qu’on ne peut atteindre, braver l’ignorance nourrie de préjugés et si docile à la haine, entendre qualifier d’infamies et d’impiétés les actes les plus justes et les plus utiles, se fermer l’avenir au début de sa carrière ; avoir devant soi toute une vie de luttes contre la méchanceté, contre la mauvaise foi, contre la stupidité féroce de l’intolérance, c’était plus qu’il n’en fallait pour