Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/11

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décourager plusieurs de ces jeunes gens qui voulaient bien de l’avancement de leur patrie, mais qui n’étaient ni assez convaincus ni assez forts pour accepter le fardeau du progrès. Aux premiers cris des fanatiques, ils lâchèrent pied dans le sentier difficile du devoir, dans l’écrasante entreprise de la régénération d’un peuple. Les concessions commencèrent, l’intrigue joua ses mille ressorts, la crainte comprima l’élan, et enfin de faiblesses en faiblesses, on descendit aux lâchetés, au reniement des principes, à la honteuse dénégation de ses opinions et de ses actes.

Des lors commença une ère de turpitudes misérables ; le cynisme du mensonge et de l’hypocrisie s’étala orgueilleusement et triomphalement. On ne chercha plus à éclairer le peuple, mission périlleuse, mais à le tromper, chose toujours facile. On apostasia, on trahit, on recula, on baisa, afin de l’apaiser, la main qui s’appesantissait sur tous les fronts. En même temps, les Jésuites, qui venaient de bâtir un collège à Montréal, répandaient déjà partout le noir essaim de leurs agents ; leurs mielleuses paroles attiraient la jeunesse confiante, les familles se livraient à eux, leurs confessionnaux toujours ouverts suintaient d’innombrables secrets, d’intrigues infatigables ; l’œuvre était complète, et le voile de l’obscurcissement un instant soulevé s’alourdissait de nouveau sur les esprits.

Le drapeau de « l’Avenir » tombé, faute d’une main pour le soutenir, le libéralisme étouffé à son berceau, la politique déchue en une dissimulation dégradante, que restait-il pour l’honneur de la pensée et la sauvegarde de l’indépendance ? Il restait l’Institut-Canadien, dernier refuge de quelques caractères non encore abattus ni souillés.

Ici, je m’arrête ; je ne puis résister au désir de peindre deux hommes échappés à la lave bouillante des persécutions, debout parmi les débris du libéralisme, semblables à l’écueil blanchi par l’écume des flots qu’il vient de briser. Tous deux ils sont morts, et avec eux le secret de leur vertueuse audace ; l’un, emporté par la fougue même de ses passions politiques ; l’autre, brisé par les fatigues de la vie, par les émotions d’une lutte sans trêve qu’il soutenait seul, seul ! contre les ministres de l’abâtardissement du peuple. L’un, puissant orateur, personnification orageuse, brûlante, de l’éloquence tribuntienne ; colosse de taille et d’énergie, dont la voix, comme celle de Danton, faisait bondir le cœur des masses, taire les frémissements de l’impatience et de la colère, étouffant tous les bruits que soulevait en vain la rage des envieux et des persécuteurs. Quand il apparaissait devant le peuple, le peuple se taisait ; et quand il avait parlé, l’enthousiasme et les applaudissements éclataient en