Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tort, elle cédera à la voix de la raison. Il est rare de trouver mieux que chez elle l’amour filial, cette vertu qui prépare, d’une manière si touchante, à l’amour maternel. Devenue épouse, elle se concentre dans son intérieur, et semble n’avoir plus qu’un devoir à remplir, celui de veiller à sa nouvelle famille. Elle est pieuse et se conduit rigoureusement d’après les avis de son confesseur qui, trop fréquemment, remplace l’éducation maternelle, et dont la direction sans contrepoids est sujette à trop d’abus. Combien de jeunes filles sont ainsi mises en garde contre des dangers qu’elles ne soupçonnaient même pas, et qu’elles exagèrent dès qu’elles les connaissent ! triste fruit d’une soumission trop crédule ! Il vaudrait bien mieux ne pas leur faire croire à tant de mal, ne pas rendre la société plus méchante qu’elle n’est, afin de ne pas fausser leur esprit qui a besoin plutôt de recevoir des impressions douces, tout en étant muni suffisamment contre les véritables dangers qu’il peut courir.

Une mère sait éviter tous ces écarts : elle apporte sa propre expérience pour guider sa fille dans tous les pas qu’elle a elle-même parcourus ; elle connaît ce qui convient à chaque développement successif de l’âme de son enfant ; elle connaît tous les refuges contre les périls, et tous les tempéraments de la vertu. Elle ne paraîtra pas à tout propos comme un censeur intraitable toujours en guerre avec la société, mais comme un Mentor doux et conciliant, qui, sans rien ôter au vice de sa difformité, saura conserver à la vertu sa douceur et son charme. Elle ne commencera pas dès l’abord par effrayer son enfant sur tout ce qui l’entoure, afin de l’aveugler également sur toutes choses, mais elle l’instruira de ce qu’il lui importe de connaître, avec ce langage délicat d’une mère qui sait épargner à l’âme pudique de sa fille les choses qu’elle doit à jamais ignorer. Enfin, elle la préservera contre les périls et les vices, en développant en elle les vertus qui en sont le contrepoids, l’amour filial, la confiance affectueuse, le sentiment du devoir, plutôt qu’en remplissant son âme de craintes puériles qui, une fois disparues, ne laissent plus de place à la vertu, ni au souvenir des bons exemples.

Il y a une bien grande différence entre la jeune canadienne et la jeune anglaise qui habite la même ville, et qu’elle coudoie tous les jours. Celle-ci transporte en Canada l’esprit hautain et la raideur intraitable qui forment l’élégance en Angleterre. Pour elle, le Canada n’est pas une patrie, dût-elle y être née, et ses parents et ses grands parents de même ; elle a horreur de se croire fille ou sœur de colon, et dira toujours en parlant de l’Angleterre " Home, home ! " Elle affecte de dédaigner la canadienne, « cette fille de la race conquise. » Ses père et grand-père, qui, pour