Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/19

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la plupart, appartenaient à cette armée d’aventuriers qui envahirent le Canada après la conquête, lui ont transmis cet esprit prétentieux qui les faisait se croire les dominateurs plutôt que les compagnons d’un peuple dont ils venaient partager la fortune, sans pouvoir en admirer le long héroïsme, ni respecter le courage malheureux. C’est pour cela qu’il y a une démarcation tranchée dans les goûts, dans les idées, entre les jeunes filles d’origine différente, une démarcation que rien ne pourra franchir, tant que le Canada ne sera pas devenu une nation.


V

Mais nous voici loin de la résolution de Joseph Papin, et de la brûlante polémique qu’elle excita dans la presse, et qu’elle y excite encore aujourd’hui toutes les fois que l’opinion publique y est ramenée par les circonstances. Que d’accusations de perversité, d’impiété, d’athéisme même, ont été lancées depuis dix ans contre tous ceux qui ont essayé de réformer le système d’instruction, d’en élever le niveau en l’affranchissant ! On n’admet pas en Canada que rien se fasse sans la religion ; il faut que le clergé soit partout, que l’État ne soit qu’une chose secondaire traînée à la remorque de l’Église, et lui étant assujettie, conformément à cette ancienne doctrine de la papauté ce que les empires et les peuples ne sont que le domaine de Rome. C’est pourquoi rien ne s’entreprend sans que le clergé n’y ait de suite la haute main, ou ne cherche à y établir son influence, et de cette influence, j’ai assez fait voir les résultats, pour que je ne m’y arrête pas davantage.

La motion de Papin fut rejetée ; mais en revanche, bon nombre d’articles du programme libéral avaient reçu la sanction des chambres, entr’autres : La tenure seigneuriale était abolie ; le conseil législatif rendu électif ; le pouvoir judiciaire décentralisé ; l’éducation quelque peu réformée ; la codification des lois entreprise, le système municipal établi ; le parlement convoqué annuellement ; des fermes-modèles instituées, et les terres incultes ouvertes à la colonisation.

L’œuvre des « rouges, » comme on appelait la petite phalange des libéraux, était à moitié accomplie : en peu de temps ils avaient obtenu de grands résultats. Restaient encore d’importantes réformes à poursuivre ; elles furent abandonnées comme trop hâtives, et dès lors commença la décadence du parti libéral. La « résolution » de Papin avait été le dernier cri jeté par les esprits indépendants ; désormais la politique allait dégénérer en une lutte de personnes, en substitutions de ministères, en querelles d’administration. Une autre époque s’annonçait, époque d’affaiblis-