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Non, mille fois non ; ce ne sont pas les lois qui corrigent les mœurs ; elles peuvent les contrarier, mais jamais les détourner de leur cours, et quand l’homme n’a plus d’autre frein que la loi, il ne tarde pas à en perdre le respect, parce que l’obéissance à la loi suppose avant tout un principe moral qui fait reconnaître en elle une sanction légitime et nécessaire, et non pas une simple mesure vexatoire. L’idée de traiter tous les hommes comme s’ils étaient des ivrognes est un peu trop monstrueuse pour conquérir les esprits, et l’on ne peut attendre d’elle que des effets aussi monstrueux que son principe.


L’abstinence et la tempérance sont deux choses bien différentes ; la première est une violation des droits que Dieu nous a donnés d’user de ses dons ; la deuxième est l’exercice même de ces droits dans la mesure qu’il convient à des êtres intelligents et raisonnables ; or, on ne peut obliger à cette mesure en décrétant des lois farouches qui visent l’exercice légitime et modéré aussi bien que l’abus. C’est vouloir réduire tout à un même niveau, et ne voir dans les hommes, sans exception, qu’un amas de brutes incapables de se gouverner, incapables de faire la moindre distinction dans les choses qu’ils doivent ou ne doivent pas faire ; c’est leur enlever leur libre arbitre, et par conséquent toute responsabilité, et par conséquent le principe moral qui les conduit pour le remplacer par le fatalisme.


III.


L’abus des boissons fortes amène l’abus contraire dans la répression, qui est le Teetotalism. Mais le Teetotalism ne se contente pas de combattre un vice par l’exemple d’une vertu rigide, il s’est introduit dans la politique où le groupe des députés qui le représente a une action prépondérante, et s’impose dans les conseils du gouvernement. Force est au ministère de subir la loi des tempéranciers absolus, parce qu’ils forment un groupe important et qu’ils exigent du cabinet McKenzie une loi prohibitive des liqueurs fortes en échange de l’appui qu’ils donnent à sa politique.

Si c’était là encore le terme de leurs exigences, on pourrait à la rigueur s’y soumettre, quand ça ne serait que pour faire l’essai d’une théorie monstrueuse ; mais pour les tempéranciers, boisson forte veut dire toute boisson qui a fermenté, et le vin, le bon vin de France, le jus de la vigne qui est un remède à tant de maux, ne trouve pas grâce devant eux. Cette boisson si saine, qui est en même temps un aliment, qui répare et stimule les forces de l’ouvrier, qui est elle-même le plus grand ennemi des liqueurs enivrantes, en ce qu’elle forme un goût qui leur est antipathique, ils l’assimilent aux eaux de vie et demandent contre elle des lois barbares.

La province de Québec commençait à en faire une importation déjà appréciable, le goût s’en répandait dans plus d’une classe de la société et combattait le penchant aux al-