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LES JEUNES BARBARES

contenant deux billets d’un dollar, pour essuyer mes larmes, et le dernier numéro du Glaneur, « revue » qui paraît à Montréal, à l’insu de la Commission d’Hygiène, et qui est un des cas les plus graves de la maladie littéraire infectieuse, devenue endémique dans ce pays-ci depuis une vingtaine d’années, parce qu’on n’a pas pris les précautions nécessaires pour l’arrêter à temps.

Sur la première page, je vois une photographie en pied de Léon Lorrain, un bon et brave garçon, Alsacien de naissance, venu fort jeune au Canada, noyé il y a un an environ dans la rivière Richelieu, et qui s’était avisé, quelques mois avant sa mort, de faire de la prose rimée, par simple diversion à tant d’autres qui font de la prose sans bon-sens.

Il s’était dit sans doute : « Puisqu’il y a, dans la province de Québec, tant de Patagons qui se mêlent d’écrire en prose, pourquoi, moi qui n’en suis pas un, ne ferais-je pas des vers ? Et partant de là, cet excellent Lorrain avait pondu un volume fort bien imprimé, bien broché et sur très-beau papier.


Disons, entre parenthèse, que le Glaneur se proclame l’organe des « Jeunes » de la province. Sans doute il est l’organe d’un petit nombre d’entre eux, qui ont éprouvé, dès leur entrée dans la vie, le besoin irrésistible de l’admiration mutuelle, afin de protéger leur individuelle faiblesse. En cela ils sont plus