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trables que ne devaient jamais fouler d’autres pieds que ceux de l’élan, du caribou et de l’Indien s’élançant à leur poursuite. En maint endroit a cédé, sous les coups redoublés du colon, l’épaisse muraille, hérissée et flottante des forêts ; les solitudes farouches et ténébreuses ont reculé petit à petit à l’aspect de l’homme armé de la terrible hache du défricheur, et ces mêmes bois, et ces montagnes, et ces vallées, et ces gorges profondes, tortueuses et roulées autour des monts comme des écharpes d’abîmes, naguère encore refuges presque inviolés des vaillants quadrupèdes à panaches et des bêtes à chaude fourrure, retentissent aujourd’hui du roulement presque ininterrompu des trains dont l’écho, vingt fois répété, roule, de massif en massif et de chaîne en chaîne, comme un tonnerre cadencé, et là où la voix de l’homme s’était encore à peine fait entendre, éclate tout à coup, dans le silence profond des campagnes éparses et assoupies, le mugissement prolongé de la locomotive, cette bête de feu, altérée d’espace, qui le traverse dans sa course vertigineuse comme un météore, en lui abandonnant sa flottante écharpe de fumée, qui pourrait broyer des armées sur son effroyable passage, et qui s’arrête en un instant, sous une simple pression de la main de l’homme, plus docile et plus passive qu’un cheval de cirque, plus immobile que l’eau d’un lac sur ses rives.

Il y a quarante-deux ans, le bassin du Lac St-Jean était absolument inconnu ; pas un colon n’y avait encore planté sa tente ni semé un seul grain de blé ; dans l’une seulement des nombreuses échancrures de la rivière Saguenay, à la baie des Ha ! Ha ! s’était établie une co-