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BULLETIN DU COMITÉ

LES CHEMINS DE FER DE L’INDO-CHINE


Parmi les dépenses indispensables à la mise en valeur d’une colonie nouvelle les dépenses de travaux publics peuvent figurer au premier rang des dépenses productives. Éclairer les côtes, rendre les ports accessibles aux grands navires de mer, créer des voies de communication, assurer des moyens de transport, voilà, semble-t-il, une fois l’ordre assuré dans le pays, le moyen le plus sûr d’y favoriser l’œuvre de la colonisation et la formation d’un mouvement commercial important.

Pourtant, sous ce rapport, il n’y a pas encore bien longtemps tout, ou presque tout, restait à faire en Indo-Chine. Au Cambodge et dans l’Annam central l’impuissance de notre protectorat, en Cochinchine une extraordinaire incurie, au Tonkin l’état précaire de notre domination, avaient empêché l’exécution des travaux publics, même les plus urgents. Mais c’est surtout sous le rapport des voies de communication que la colonie était insuffisamment pourvue.

Et cependant en Indo-Chine, plus que dans aucun autre pays, la nécessité d’un réseau de voies rapides est évidente. Il suffit de regarder la carte pour s’en convaincre. Si en effet les deltas du fleuve Rouge et du Mékong, en d’autres termes le Bas-Tonkin et la Cochinchine, sont pourvus d’un système de voies d’eau développé et se prêtant assez bien à la batellerie, l’Annam étend entre ces deux régions des milliers de kilomètres de pays accidenté, dont les vallées perpendiculaires à la côte, et du reste très courtes, se prêtent mal à l’établissement de relations commerciales. Il en résulte que les deux portions les plus riches de la colonie ne peuvent actuellement communiquer que par mer. Or, de Saïgon à Haï-phong, la navigation, à certaines époques de l’année, n’est rien moins que facile pour les navires à vapeur ; elle est même impossible pour les bateaux du pays.

Les voies de pénétration vers l’intérieur ne se présentent pas dans des conditions plus avantageuses. Le Mékong, qui est encore la grande route commerciale du Laos, est une route très imparfaite. Malgré les efforts des officiers qui ont commandé successivement la petite flottille que nous y entretenons depuis quelques années, il est douteux que le grand fleuve devienne jamais une voie commode pour les produits de l’intérieur de l’Indo-Chine. Il en est de même du fleuve Rouge dont la vallée nous ouvre l’accès du Yun-nan, mais dont le cours se prête mal à la navigation commerciale. Il n’est péniblement accessible qu’aux bateaux de très faible tonnage entre Haï-phong et Yen-bay et, durant la plus grande partie de l’année, une chaloupe à vapeur ne peut remonter au-dessus de ce dernier point.

Il en résulte que la plupart des régions de l’Indo-Chine sont restées jusqu’à ce jour fermées à toute entreprise agricole et commerciale et que certaines provinces, pourtant très voisines, demeurent, si l’on peut ainsi parler, dans une sorte d’ignorance économique, les unes par rapport aux autres. Les forêts de la Haute Cochinchine, du Cambodge, du Laos, du Haut Tonkin, les mines du Laos, de la vallée du fleuve Rouge, sont inexploitées, faute de moyens de transport. Des disettes ont pu se produire en Annam, il n’y a pas encore bien longtemps, sans qu’il fut possible de répandre dans les provinces atteintes par le fléau le surplus des récoltes abondantes des provinces voisines.

« À ces considérations, écrivait en 1898 M. de Lanessan, il faut en ajouter une autre dont l’importance n’est pas moins considérable. Les habitants sont répartis sur le territoire de l’Indo-Chine française de la façon la moins profitable au développement des richesses naturelles du pays. Au Cambodge, dans le Laos, dans les régions montagneuses du Tonkin et même dans certaines parties de la Cochinchine, les habitants ne sont pas assez nombreux pour faire rendre au sol tout ce qu’il pourrait produire. Par contre, dans le delta du Tonkin et dans les petits deltas de l’Annam, ils sont en nombre tellement considérable, qu’ils consomment presque entièrement, chaque année, les productions de ces territoires et que leurs exportations sont très faibles.

« Cet état de choses, ajoutait l’ancien gouverneur de l’Indo-Chine, ne peut être modifié que par la dispersion des populations dans les régions encore inhabitées et incultes. Cette dispersion elle-même ne se produira que le jour où des routes et surtout des chemins de fer traverseront les pays qu’il convient de peupler, permettront aux habitants des deltas les visiter et y rendront facile la circulation des produits agricoles et industriels. A ce titre, les chemins de fer que l’Indo-Chine demande à construire offrent l’intérêt le plus considérable (1). »

Dès 1887, le ministère des affaires étrangères avait chargé une commission d’établir un plan d’ensemble des chemins de fer à construire au Tonkin (2) ; il en fut de cette commission comme de beaucoup d’autres : ses travaux n’aboutirent à aucun résultat effectif.

En 1890, sur les instances des autorités militaires désireuses d’améliorer les conditions déplorables dans lesquelles se faisait le ravitaillement des postes situés près de la frontière du Kouang-si, on commença la ligne de Phu-lang-thuong à Lang-son. L’achèvement, à la fin de 1894, de ces 105 kilomètres de voie ferrée permit d’éviter bien des pertes d’hommes et d’argent. La ligne a été prolongée récemment de Lang-son à la frontière de Chine d’une part, et de l’autre de Phu-lang-thuong jusqu’à Gia-lam, sur le fleuve Rouge, en

(1) Rapport fait au nom de la Commission coloniale chargée d’examiner le projet de loi relatif aux chemins de fer de l’Indo-Chine.

(2) Les protectorats de l’Annam et du Tonkin dépendaient à cette époque on ne l’a sans doute pas oublié — du ministère des Affaires étrangères.