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DE L’ASIE FRANÇAISE

face d’Hanoï le chef-lieu du Tonkin est donc aujourd’hui relié directement à la frontière du Kouang-si.

En Cochinchine, les voies fluviales suffisant à peu près aux besoins du commerce intérieur, on ne se pressa pas d’établir des voies ferrées. C’est seulement en 1887, c’est à dire vingt-cinq ans après l’occupation du pays, que l’on donna le premier coup de pioche de la ligne Saïgon-Mytho, qui relie, après un parcours de 70 kilomètres, la capitale de la Cochinchine au Mékong.

C’est à ces 200 kilomètres de rail que se réduisait en 1896, au moment où M. Doumer fut nommé gouverneur général de l’Indo-Chine, le réseau de chemins de fer de la colonie. Ce n’est pas que ses prédécesseurs immédiats n’eussent senti la nécessité de voies de communication plus étendues ; mais des préoccupations d’ordre divers, la piraterie d’abord, puis le mauvais état des finances du protectorat de l’Annam et du Tonkin, enfin l’hostilité que manifestait la métropole pour tout appel de fonds venant d’un pays qui avait si souvent invoqué le secours des finances métropolitaines, les avaient empêchés de réaliser aucun des nombreux plans de réseau ferré qui ont été dressés depuis quelque vingt ans. Au moment où il abandonna le gouvernement général, M. de Lanessan avait notamment engagé des pourparlers avec des entrepreneurs pour la construction d’une ligne entre Hanoï et Hué, mais son départ remit tout en question.

Il avait, en tout cas, fait entreprendre dans le delta du Tonkin la construction d’un important réseau de routes, que M. Rousseau, son successeur immédiat, s’efforça de compléter en créant un réseau analogue dans les territoires militaires.

M. Doumer débarqua en Indo-Chine avec la ferme intention de doter le pays de l’outillage économique qui lui faisait encore défaut. Il savait que la grande question était alors pour la colonie la question d’argent », il connaissait aussi les intentions du Parlement et il n’ignorait pas qu’il ne devait désormais compter que sur lui-même et qu’il lui fallait trouver sur place des ressources permettant d’abord de rétablir l’équilibre des budgets locaux, puis de faire appel au crédit public et de gager les emprunts exigés par la création de cet outillage.

Ses premières réformes furent, en conséquence, des réformes financières. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude d’en exposer le détail ; rappelons seulement qu’elles consistèrent, en substance, à réorganiser le système fiscal de la colonie, et notamment les contributions indirectes, et à assurer par la création d’un budget général, sorte de masse commune, l’utilisation au profit de l’ensemble de la colonie des excédents de recettes des pays les plus riches de l’Union indo-chinoise. Secondé heureusement par une série de belles récoltes qui permettaient aux populations de supporter plus facilement le poids des charges nouvelles qui leur étaient imposées, M. Doumer a


obtenu pleinement le résultat qu’il désirait. On sait quels excédents de recettes il a été donné de constater dans les derniers budgets de l’Indo-Chine, excédents qui ont permis de constituer des caisses de réserve importantes. Ils n’étaient pas encore réalisés cependant quand le gouverneur général soumit au Conseil supérieur de l’Indo-Chine, quelques mois à peine après son arrivée à Saïgon, le plan d’un vaste système de voies ferrées reliant entre eux ses centres économiques principaux.

Au premier rang des lignes dont le tracé est indiqué par la nature des choses figure une ligne reliant la Cochinchine au Tonkin. C’est le grand Transindo-chinois, dont l’idée n’est pas nouvelle. La fameuse route mandarine qui fut établie au commencement de ce siècle par Gia-Long et Minh-Mang entre Hanoï et Saïgon est là pour l’attester. Cette route, qui suivait le littoral de la mer de Chine sur une longueur de 1,600 kil. et qui se prolongeait d’Hanoï jusqu’à Lang-son et Cao-bang, aurait pu rendre de grands services, puisqu’elle reliait en somme toutes les parties de l’empire, si elle avait été construite dans de meilleures conditions et entretenue avec soin. Mais elle a toujours été très insuffisante.

« Elle franchissait les chaines transversales, dit M. de Lanessan, par de simples rampes de dalles ou de pierres que les chevaux peuvent à peine suivre et qu’un véhicule quelconque serait incapable de grimper. Au niveau des fleuves et rivières de quelque importance, les ponts faisaient défaut et la traversée s’opérait avec des bacs de petite dimension. Sur beaucoup de points de la côte d’Annam la route se confondait avec les dunes du bord de la mer ou se perdait dans les sables de la plage[1]. » Une semblable route ne peut à notre époque, on le comprend sans peine, rendre aucun service ni favoriser le moindre mouvement commercial. Fût-elle excellente, elle assurerait encore de manière défectueuse la liaison par voie rapide des régions extrêmes de la colonie. L’utilité d’un train indo-chinois n’est donc pas contestable.

Sur cette grande artère doivent venir s’embrancher des lignes transversales, constituant ce que l’on pourrait appeler le réseau secondaire et reliant le Transindo chinois avec le Mékong, et le Torkin avec le Yun-nan. Ce sont les lignes de Quang-tzi, au nord de Hué à Savannakek, de Qui-hône au massif montagneux d’Attopeu et au bief moyen du grand fleuve, de Saïgon à Pnom-Penh par les hauts plateaux de la Cochinchine, c’est enfin la ligne d’Haï-phong à Lao-kay, sur la frontière du Yun-nan.

Tel est, esquissé à grands traits, le plan qu’a adopté le Conseil supérieur de l’Indo-Chine dans sa session de 1897, et qui ne diffère pas très sensiblement de celui que traçait, en 1894, M. de Lanessan, alors gouverneur général. Mais on ne pouvait songer à entreprendre d’un seul coup l’exécution

  1. La colonisation française en Indo-Chine.