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Page:Bulletin historique et philologique, 1904.djvu/159

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et quand, après plusieurs années, sous les coups répétés du martinet ; il ânonnait péniblement sa langue maternelle, les phrases n’éveillaient que des idées confuses dans son esprit habitué à la paresse.

Frappés de ces inconvénients, les jansénistes de Port-Royal, Fénelon, l’abbé de La Salle, l’abbé Fleury lui-même, quoique timidement, d’auteur de l’École chrétienne, les frères de Saint-Antoine s’élevèrent successivement contre cette fausse méthode, sans négliger pour cela l’étude du latin : « Le livre dans lequel on apprendra à lire le latin est le psautier, dit la Conduite ; mais on ne mettra dans cette leçon que ceux qui sauront parfaitement lire dans le français. »

En rompant avec les errements passés, l’auteur de l’École chrétienne exposa ses raisons. Par l’ancienne méthode, dit-il les pauvres sont privés du français parce que « les parents retirent leurs enfants aussitôt qu’ils peuvent en tirer quelques services, de sorte que ces enfants sont privés pour toute leur vie de l’avantage qu’ils retireraient pour leur salut, de la lecture des livres de piété… Cet entêtement de commencer par le latin est une des sources de l’ignorance des artisans et de la plupart des gens de la campagne… On est convaincu par expérience que, quand les enfants savent lire le français, ils peuvent aisément lire le latin ; mais quand ils ne savent lire que le latin, ils ne peuvent pas lire le français »[1].

Même remarque-dans le Règlement des écoles de Briquebec (Manche) établi en 1760 :

Art. 20. L’expérience ayant appris que la lecture du français conduit et dispose naturellement à la lecture du latin, et qu’il n’en est pas de même pour le latin à l’égard du français, on commencera et on continuera toujours les enfants par le français et on ne leur apprendra point à lire en latin[2].

Les frères de Saint-Antoine proscrivirent absolument le latin et jusque dans les prières. Le dimanche, à l’école, les offices étaient psalmodiés à deux chœurs en français « afin que tous pussent également en profiter ».

Malgré ces progrès, la routine était lente à disparaître et conser-

  1. L’École chrétienne, p. 303-305.
  2. Dictionnaire de pédagogie, t. II, p. 2113.