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potsdam

livres français. Frédéric II a tout méprisé sur terre, hors la littérature française. Il méprisait le triste Louis XV, pour cent raisons honnêtes, et pour cette raison plus forte que les cent autres : Louis XV aimait trop les femmes, — et d’ailleurs, on aurait pu répondre à Frédéric, que tout bien vu, il vaut mieux les trop aimer, que pas assez. — Il méprisait les mœurs, le caractère et les soldats de France, mais la littérature il la subissait. Cet homme si intelligent, ne parvint pas à comprendre qu’une littérature n’est pas un produit accidentel, mais bien le résultat du sang, des peines, des enthousiasmes, des défauts et des vertus de tout un peuple qui n’écrit pas, mais vit en silence sa vie profonde, et qu’admirer cette littérature et mépriser ce peuple, eh bien, c’est avoir la vue courte. Il a cru qu’en invitant de beaux esprits à souper, il transplanterait chez lui le génie de France et s’en rendrait maître comme il l’était de ses régiments. Il s’est pris aussi pour un poète français. Ce monarque qui croyait à un très petit nombre de choses, choisissait curieusement les objets de sa certitude.

On regarde le joli salon où il flânait un peu après le repas, puis on arrive dans la chambre de Voltaire. Parmi les rinceaux, les fleurs, les arabesques sculptées au mur, des bêtes volent et grimpent, des singes entre autres. Le guide les désigne, et, avec un sourire malin : « Voltaire, aussi, était un singe »,