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un voyage

l’admirait fort. Mais, Guido fut chassé de ses États, et eut d’autres soucis que d’affirmer son goût pour la poésie. Cent-soixante ans plus tard, Ravenne appartenant aux Vénitiens, le podestat Bernardo Bembo jugea convenable d’élever un monument à Dante. Et il le fit. Le temps passa, les dévots sans nombre visitèrent le lieu où reposait le grand homme, lui portèrent des fleurs, des rêves, et connurent l’émotion de sentir le voisinage magique de ses restes. Or, au milieu du siècle dernier, en réparant le mur d’une église, on découvrit, noyé sous le plâtre, un cercueil : — il est au musée, maintenant. — Une inscription, rudement gravée, disait que, dans ce cercueil, le 18 octobre de l’an 1677, un religieux nommé Antonio Santi avait enfermé les ossements de Dante. La surprise fut grande. Le cercueil ouvert, on y trouva un squelette auquel manquaient seulement deux phalanges et la mâchoire inférieure. Aussitôt, on décida d’explorer le monument où on croyait Dante au repos. Le monument était vide. Toutefois, dans un coin, on aperçut certains débris : c’étaient les deux phalanges ! Pour le maxillaire, perdu au cours du déménagement, il ne s’est pas retrouvé.

Frère Antonio Santi craignait, je suppose, qu’on volât le précieux squelette, ou que, cédant à la piété tardive des Florentins, Ravenne le leur rendit. Quelles que fussent ses raisons, il les jugea bonnes, et par une nuit sans lune, aidé probablement de camarades discrets, il subtilisa le Dante, puis s’alla coucher, sûr d’avoir bien servi la gloire de Ravenne.