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l’ombrie

Et puis, tout gardait pour eux cet éclat et ce mystère, que les enfants aperçoivent sur les choses et autour d’elles. Les vrais saints, ceux qui ne tournent pas en hommes d’affaires, ou en politiques, restent des enfants jusqu’au bout. Le propre de l’enfance c’est d’ignorer les limites, de ne pas admettre l’impossibilité. L’enfant a le goût et le besoin de la métamorphose. La réalité n’est qu’un thème pour son imagination. Quand la vieille femme en loques change soudain en une fée scintillante, c’est pour lui un fait logique, conforme à son attente et à son besoin. L’enfant a des visions du même genre que la vision de frère Élie par exemple. Frère Élie était « plein de superbe » et d’un caractère irritable. Un jeune homme d’une beauté merveilleuse et richement vêtu, frappe un jour à la porte du monastère, et demande à voir le coléreux Élie. D’abord, celui-ci ne veut point se déranger. Il y consent enfin, tout grognon, et le beau jeune homme aussitôt l’interroge sur l’interprétation d’une certaine parole, dont Élie était tourmenté. « Je sais fort bien tout cela, mais je ne veux pas te le dire ! Va-t’en à tes affaires ! », riposte Élie, furieux. Il claque la porte au nez du visiteur, et rentre dans sa cellule. Mais aussitôt, un remords le prend et une inquiétude. Il était bien beau, ce voyageur inconnu ; et comment avait-il inventé de faire juste cette question-là ? Élie retourne en hâte vers la porte. Le jeune homme n’y est plus. Alors, se rappelant le visage radieux, Élie se demande, en tremblant, si ce n’était pas un ange. Et tout de suite, il est sûr que c’était