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un nom ; mais ils savent bien tous qu’ils ne cherchent point le bonheur. Un utilitaire a-t-il jamais été poussé par l’intérêt personnel, le pauvre homme, lorsqu’il s’est mis à griffonner ses impopulaires billevesées tendant à prouver que l’intérêt personnel est le mobile universel ? Et quant à cette distinction notable entre l’intérêt personnel vulgaire et l’intérêt personnel éclairé, plus l’intérêt personnel est éclairé, moins nous sommes influencés par lui. Si vous dites au jeune homme qui vient d’écrire un beau livre ou de faire un beau discours, que la célébrité de Milton ou le pouvoir de Pitt ne le rendra pas plus heureux, et qu’il ferait mieux, pour son bonheur, de cultiver une ferme, de vivre à la campagne, et d’ajourner jusqu’à la fin la dyspepsie et la goutte, il vous répondra franchement : « Je sais cela tout aussi bien que vous. Mais que m’importe d’être heureux ou non ? J’ai résolu de devenir, s’il est possible, un auteur célèbre ou un premier ministre. » Il en est de même pour tous les fils actifs de ce monde. Marcher est la loi de la nature. Et vous ne pouvez pas plus dire aux hommes et aux peuples qu’aux enfants : « Restez assis et n’usez pas vos souliers. »

— Alors, reprit M. Trévanion, si je vous dis que je ne suis pas heureux, votre seule réponse est que j’obéis à une loi inévitable.

— Non, je ne dis pas qu’il y ait une loi inévitable qui s’oppose à ce que l’homme soit heureux ; mais il y a une loi inévitable qui, en dépit de l’homme, le force à vivre pour quelque chose de plus élevé que son bonheur personnel. Si égoïste qu’il veuille être, il ne peut vivre en lui-même ni pour lui-même. Tous ses désirs l’enchaînent à d’autres hommes. L’homme n’est pas une machine, il fait partie d’une machine.

— C’est vrai, frère, dit le capitaine Roland ; l’homme est un soldat et non une armée.

— La vie est un drame et non un monologue, continua mon père. Drame est dérivé d’un verbe grec qui signifie faire. Chaque acteur du drame a quelque chose à faire, et contribue à la marche de l’ensemble ; c’est pour faire ce quelque chose que l’auteur l’a créé. Jouez donc votre rôle, et que la grande pièce continue.

— Ah ! s’écria vivement Trévanion ; mais ce rôle est difficile à jouer. Chaque acteur contribue à la catastrophe, et pourtant