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Blanche ne rougit pas ; mais quant à moi je rougis.

« Demandez-moi cela dans dix ans, si vous l’osez, impudente petite créature ! Et maintenant courez auprès de Mme Primmins, et dites-lui de veiller sur vous, car il faut que je vous dise adieu. »

Mais Blanche ne s’éloigna pas, et sa dignité parut excessivement blessée de l’accueil que j’avais fait à son alarmante proposition ; car elle alla bouder dans un coin et s’assit avec une grande majesté.

Je la laissai là pour me rendre chez Vivian. Il était sorti ; mais voyant des livres sur la table, et n’ayant rien à faire, je résolus d’attendre son retour. Je tenais assez du caractère de mon père pour me passer de compagnie quand j’avais des livres. À côté de quelques ouvrages plus sérieux que j’avais recommandés à Vivian, je trouvai des romans français qu’il avait pris dans un cabinet de lecture. J’eus la curiosité de les lire ; car, à l’exception des vieux romans classiques de la France, cette vaste branche de sa littérature populaire était alors nouvelle pour moi. Je fus bientôt intéressé ; mais quel intérêt !… celui qu’exciterait un cauchemar, si on pouvait l’extraire de son sommeil et se mettre à l’examiner. À côté d’une pénétration éblouissante, à côté d’une profonde connaissance de ces replis du cœur humain, dont Gœthe parlait sans doute en disant quelque part (si ma mémoire ne me trompe pas et si je ne le cite pas à faux, et je ne répondrais pas que non) : « Il y a dans le cœur de tout homme quelque chose qui nous le ferait haïr, si nous pouvions le connaître ! » À côté de tout cela et de beaucoup d’autres qualités qui témoignaient d’une audace prodigieuse et d’une rare vigueur d’intelligence, quelle étrange exagération ! quelle fausse noblesse de sentiment ! quelle inconcevable perversité de raisonnement ! quelle infernale démoralisation ! L’artiste véritable est souvent obligé de nous intéresser, soit dans un roman, soit dans un drame, à un caractère vicieux et criminel, mais il ne nous fait pas moins détester le vice ou le crime ; tandis qu’ici mon intérêt se trouve sollicité non-seulement pour le scélérat (ce qui est parfaitement admissible : Macbeth et Lovelace m’intéressent beaucoup), mais encore pour la scélératesse, qu’on cherche à me faire admirer et avec laquelle on voudrait me faire sympathiser ! Ce n’était pas non plus tant la