Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/548

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Quel est ce bruit de pas ?… l’ouïe se perfectionne si bien dans le Bocage !… Ce sont des pas légers comme ceux qui font tomber la rosée de la jacinthe des prés. Je me cache dans l’ombre d’un contre-fort couvert de lierre… Quelqu’un sort de la petite porte à l’angle des ruines… C’est une femme… Est-ce ma mère ?… Non, elle est trop grande et sa démarche est trop bondissante. Elle fait le tour de la maison ; elle regarde en arrière, et une voix pleine de douceur, une voix qui m’est à la fois étrangère et familière, appelle d’un ton grondeur et tendre un paresseux qui flâne derrière elle. Pauvre Juba ! ses longues oreilles traînent à terre ; il a évidemment l’esprit inquiet. Le voilà qui s’arrête le nez au vent ! Pauvre Juba, je t’avais laissé si svelte et si agile ! les années t’ont rendu singulièrement sage, et obèse comme la vieille Primmins. On a pris trop de soin de ton confort, ô sensuel Mauritanien ! Et pourtant avec cette intelligence mystérieuse que nous appelons instinct, tu poursuis quelque chose que les années n’ont pu effacer de ta mémoire. Tu restes sourd à la voix de ta maîtresse, quoiqu’elle gronde tantôt et tantôt caresse… À la bonne heure, approche, approche encore, cousine Blanche ; laisse-moi te voir à mon aise… Peste soit du chien ! Il s’enfuit loin d’elle ; il a trouvé la piste ; il se dirige vers le contre-fort !… Mais le voilà pris ! il fait entendre un gémissement de contrariété… Blanche, ne verrai-je pas ton visage ? il est tout caché dans les boucles noires de Juba. Tu le baises aussi. Ah ! méchante Blanche ! prodiguer à ce muet animal ce qui, j’en suis persuadé, rendrait heureux maint brave chrétien !… Juba se débat vainement, il est emporté. Je ne crois pas que les yeux de Blanche aient hérité du regard farouche de son père ; le nez aquilin de Roland ne peut s’allier avec cette voix qui est douce comme le roucoulement de la colombe.

Je quitte ma cachette et me glisse furtivement sur les traces de celle qui a cette douce voix. Où peut-elle aller ? pas bien loin. Elle gravit la colline du haut de laquelle les seigneurs du château rendaient autrefois la justice. Cette colline domine au loin le pays, et on y jouit des derniers rayons du soleil couchant. Quelle gracieuse immobilité dans cette attitude d’un repos plein de désirs ! En quelles courbes harmonieuses se confondent sa taille et ses vêtements ! Comme son image svelte et souple se détache distinctement sur le fond pourpre du ciel !