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avait permis notre union. » Quelque pure et simple de cœur qu’elle demeurât au milieu de ce monde artificiel, ce monde n’en était pas moins son élément ; ses intérêts l’occupaient ; elle prenait part à ses conversations, sans que le scandale souillât jamais ses lèvres. Pour emprunter les paroles d’un homme, courtisan lui-même, et courtisan si distingué qu’il pouvait se moquer de Chesterfield[1] : « Elle avait la routine de ce style de conversation qui ressemble à une feuille d’or et qui est un bel ornement lorsqu’il est joint à autre chose. » Je n’ajouterai pas : « mais qui, tout seul, fait bien triste figure, » parce que cela ne pourrait pas s’appliquer à lady Castleton, chez qui ce style n’était pas seul, et chez qui la feuille d’or ne faisait que plus d’effet lorsqu’elle était plus mince, parce qu’elle ne pouvait cacher la douce et aimable nature sur laquelle elle s’étendait. Toutefois, ce n’était pas l’esprit auprès duquel mon expérience plus mûre m’aurait fait chercher de la sympathie pour une action virile ; ce n’était pas non plus la société que j’eusse désirée pour mes loisirs intellectuels.

Cette même charmante favorite de la nature et de la fortune avait une certaine faiblesse qui n’était pas sans grâce dans ce rang élevé, et qui contribuait peut-être à assurer la paix de sa maison ; car elle attachait à ceux qui avaient gagné quelque influence sur elle. Elle avait heureusement le caractère très-affectueux. Mais si, moins favorisée par les circonstances, moins abritée contre les vents et les tempêtes ; si, devenue la femme d’un homme inférieur par son rang, la haute position et les avantages réservés aux enfants gâtés de la fortune lui avaient fait défaut, cette faiblesse aurait pu devenir une source de plaintes et de regrets. Je pensai à la pauvre Ellen Bolding et à ses souliers de satin. Fanny Trévanion n’était pas née pour marcher dans un chemin semé de cailloux et de ronces ; elle semblait être venue au monde avec des souliers de satin.

Dans la conversation de ceux qui m’entouraient, j’entendis quelque chose qui confirma cette appréciation du caractère de lady Castleton, tout en augmentant mon admiration pour son mari. Je reconnus qu’elle avait sagement choisi, et que son mari était décidé à justifier son choix. Un soir que j’étais assis un peu à l’écart avec deux beaux de Londres, dont j’écoutais en si-

  1. Lord Hervey : Mémoires de Georges II.