Page:Bulwer-Lytton - Le Maître d’école assassin, 1893.djvu/41

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moi je ne sais rien, mais je ne suis pas pauvre. Comment cela se fait-il ? C’est que le monde est mon capital, je vis sur mon espèce. La société est mon ennemie. Les lois me commandent de crever de faim, mais l’instinct de conservation est quelque chose de plus sacré que les lois et il me commande avec plus d’autorité.

Ce langage, dans sa crudité âpre et franche, me révolta, mais non sans faire en moi quelque impression. Je regardai cet homme, je vis en lui un sujet d’étude, et je le contredis, afin de mieux le connaître. Il avait été soldat, il avait parcouru la plus grande partie de l’Europe ; il était doué d’un instinct fort et juste ; c’était un vil personnage, mais un scélérat audacieux et adroit, il y avait donc quelque espoir de le relever. Sa conversation fit naître en moi de sombres réflexions qui me troublèrent. Quel était l’état de la société ? N’y avait-il pas une guerre acharnée entre les éléments qui la constituaient ? n’était-ce pas une organisation où le vice était plus encouragé que la vertu ? La science était mon rêve, et ce rêve, il dépendait de moi d’en faire une réalité, et cela non plus par de patientes souffrances, mais par quelques actes de hardiesse. Ne pouvais-je point prendre de force à la société à laquelle je ne devais rien, les ressources nécessaires pour devenir philosophe et magnanime, n’était-il pas meilleur et plus noble d’agir ainsi, même au péril de ma vie, que de tomber dans un fossé et d’y mourir comme un chien ? Oui, sans doute il valait mieux, non seulement pour moi, mais encore pour l’es-