Page:Bulwer-Lytton - Le Maître d’école assassin, 1893.djvu/59

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temps, je vis les hommes et les villes : c’était un nouveau livre qui s’ouvrait à moi. Chose étrange ! avant mon acte j’étais comme un enfant sur les routes du monde, et même un enfant m’aurait trompé aisément, malgré l’étendue de mon savoir. Mais l’instant d’après, ce fut comme si une lumière subite eût brillé devant moi, comme si mes yeux étaient sous l’influence d’un charme, qui les rendît capables de pénétrer jusqu’au fond des âmes. Oui, c’était un sortilège, un sortilège d’un genre nouveau, c’était le Soupçon ! Je m’exerçai au maniement des armes, désormais ce fut ma seule société. Si paisible que je parusse aux yeux des hommes, je sentais que désormais il y aurait éternellement en moi une chose avec laquelle l’univers ne pouvait pas être en paix.

Je ne vous trompe point. Je n’éprouvais rien de ce que les hommes appellent le remords. Je m’étais dit et prouvé une fois pour toutes que j’avais fait disparaître de la terre une créature qui n’y causait que le trouble et la corruption : j’avais marché d’un pas ferme à un but glorieux en écrasant un être indigne, qui ne possédait pas l’ombre d’une vertu, pas l’ombre d’une pensée qui pût être utile à autrui. M’étant donc bien persuadé de cela, je n’étais point assez faible pour éprouver un vague remords en présence d’un acte qu’il était impossible, en mon cas du moins, de qualifier de crime. Ce que j’éprouvais était un regret, non un remords. Je me disais qu’une attente de trois jours m’eût sauvé non de la faute, mais de la honte, m’eût