Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/108

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paravant dans une situation et dans des circonstances fort différentes ; tout cela me poussait à cultiver cette connaissance que j’aurais dû, d’après les renseignements de Vincent, m’efforcer d’éviter. Je résolus donc de faire une nouvelle tentative pour le trouver chez lui ; et mon mal de tête s’étant un peu dissipé, je me dirigeai vers le faubourg Saint-Germain, où il demeurait.

J’aime ce quartier ! si jamais je retourne à Paris, c’est là que je veux habiter. C’est un monde tout différent de celui des rues que connaissent et qu’habitent en général les Anglais en résidence à Paris ; vous êtes chez les Français, au milieu des débris fossiles de l’ancien régime. Les maisons elles-mêmes ont un air de désolation mais en même temps de grandeur vénérable. Vous n’y côtoyez pas les hôtels neufs et modernes des nouveaux riches. Tout, jusqu’à l’inégalité des pavés, témoigne d’un profond mépris pour les innovations. Vous traversez un des nombreux ponts de la Seine et vous entrez dans une autre époque, vous respirez l’atmosphère du siècle dernier. Là, point de boutiques aux riches étalages, françaises par le clinquant, anglaises par la cherté des prix ; point de ces habits roides et de ces démarches guindées qui caractérisent nos compatriotes ; ces rues mélancoliques ne sont pas anglaisées. De vastes hôtels à la façade sombre, et qui montrent un mépris superbe pour le comfort ; des magasins tels qu’ils devaient être déjà sous le règne aristocratique de Louis XIV, alors que le contact impur des Anglais n’en avait pas encore exclu la politesse et le bon marché ; des édifices publics, témoins éloquents de la charité du grand monarque, des carrosses aux larges flancs superbement décorés, des chevaux normands à la taille élevée et à tous crins ; des hommes aux manières hautes mais courtoises, sur lesquels la révolution semble avoir passé sans y avoir laissé son empreinte démocratique ; tout concourt à communiquer à l’esprit une impression vague et indicible d’antiquité. Quelque chose de solennel dans la gaîté même, de fané dans la pompe, jette un air de langueur sur tout ce que l’on voit ; c’est là qu’est le grand peuple Français, dans toute sa pureté ; celui que n’ont altéré ni les révolutions,