Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/137

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avec vous immédiatement. Soyez assez bon pour m’indiquer votre adresse. » Le Français, qui était dans un violent état d’agitation, me tendit sa carte. Nous nous saluâmes et tirâmes chacun de notre côté. Je regardais la carte que je tenais dans ma main et sur laquelle étaient écrits les mots suivants : C. de Vautran, rue de Bourbon, numéro… quand je m’entendis saluer par l’apostrophe suivante :

« Eh bien, me connais-tu, n’es-tu pas Alonzo ? »

Je n’eus pas besoin de regarder pour savoir que c’était lord Vincent qui me parlait. « Mon cher camarade, lui dis-je, je suis enchanté de vous voir, » et sur-le-champ je lui racontai à l’oreille les particularités de mon aventure. Lord Vincent m’écouta avec les marques du plus vif intérêt, et m’assura avec beaucoup de cordialité qu’il avait le plus vif désir de me servir, tout en regrettant que ce fût pour une pareille affaire.

« Peuh ! lui dis-je, un duel en France n’est pas la même chose qu’en Angleterre ; ici c’est un événement fort ordinaire, une bagatelle, moins que rien ; on se donne un rendez-vous pour se battre, comme pour aller dîner ; seulement le dîner est chose imposante et solennelle. On fait un peu la moue, on se lève matin pour écrire un bout de testament et tout est dit. Ainsi expédiez-moi cette affaire le plus vite possible, afin que nous puissions aller dîner après au Rocher de Cancale.

— Très-bien, mon cher Pelham, dit Vincent, je ne puis pas vous refuser mes services, et comme je suppose que M. de Vautran choisira l’épée, votre habileté bien connue dans le maniement de cette arme me rassure. C’est la première fois que je me trouve mêlé à une affaire de cette nature, mais j’espère que tout ira bien :

« Nobilis ornatur lauro collega secunda, »


comme dit Juvénal : au revoir. » Et lord Vincent s’éloigna, consolé à moitié de son inquiétude et de ses craintes pour ma vie, par le plaisir d’avoir accouché d’une si heureuse citation.