Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/140

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CHAPITRE XXIX


Comme je retournais chez moi avec Vincent en revenant de la rue Montorgueil, je vis dans la rue St-Honoré, devant nous, deux personnes ; la haute et noble stature de l’une d’elles me la fit reconnaître immédiatement. Ces deux personnes étaient arrêtées devant une porte d’hôtel qui s’ouvrit avec cette facilité et cette discrétion qui n’appartiennent qu’à des concierges français. J’arrivai à la porte comme elle se fermait, mais j’avais eu le temps de voir les cheveux noirs et le visage pâle de Warburton. Mes yeux rencontrèrent le numéro de l’hôtel. « Pour sûr, dis-je, j’ai déjà été dans cette maison. — C’est assez probable, grommela Vincent qui était gris à faire plaisir. C’est une maison à deux fins : on y peut jouer aux cartes ou coqueter avec les femmes ; c’est comme on veut. »

À ces mots, je me rappelai l’hôtel et ses habitants. Il appartenait à un vieux gentilhomme qui, à la veille d’être mis en terre, aimait encore à s’accrocher aux bonnes choses sur le bord de la fosse. Il vivait avec une petite femme fort élégante qui portait son nom et jouissait de toutes les prérogatives d’une épouse légitime. Ils avaient deux salons ouverts, l’un pour les petits soupers, l’autre pour les petits jeux. On y jouait en effet aux jeux de l’amour et du hasard, et l’on y perdait avec une égale facilité sa bourse et son cœur. En un mot, le marquis et sa jolie petite femme étaient un couple heureux et habile qui menaient joyeuse vie, et honorablement et décemment, aux dépens d’autrui.