Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/15

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d’autre chose que de biens hypothéqués, et de cadets qui ne confondent pas leur capital avec leur revenu. À ce monde il faut ajouter encore toute la baronnie, car j’ai remarqué que les baronnets allaient par bande et par essaim comme les abeilles ou les Écossais ; aussi ai-je l’habitude, quand je suis chez un baronnet et que je parle à quelqu’un que je ne n’ai pas l’avantage de connaître, de lui dire tout d’abord « sir John ! »

Il ne faut point s’étonner si, vivant au milieu de ce monde, sir Lionel Garrett cessa bientôt d’être le jeune garçon à l’habit vert et aux cheveux plats, pour devenir un jeune homme pincé, frisé, donnant dans les chevaux et les longs favoris, dansant toute la nuit, flânant tout le jour, la coqueluche des vieilles dames, et le point de mire des jeunes.

Un soir, pour son malheur, sir Lionel Garrett fut présenté chez la célèbre duchesse de D*** ; dès ce moment la tête lui tourna. Jusque-là, il s’était toujours imaginé qu’il était quelque chose, qu’il était sir Lionel Garrett, riche de quelques avantages personnels et de huit mille livres de revenu. Il s’aperçut là qu’il n’était rien, à moins d’aller chez lady G*** S***, et de saluer lady S***. Dédaignant la valeur qu’il pouvait trouver en lui-même, il crut absolument indispensable à son bonheur, de ne devoir sa valeur qu’aux autres et à ses relations dans le monde. Peu lui importait d’être un homme riche, de bonne maison, considérable : ce qu’il voulait, c’était d’être un homme du bon ton ; ou sinon il n’était plus qu’un atome, un ver de terre, et non un homme. Pour y atteindre, sir Lionel travaillait comme un avocat à Gray’s Inn ou un galérien à la chiourme. Le bon ton n’est pas encore trop difficile à conquérir pour un célibataire ; or, sir Lionel allait enfin toucher à ce noble but si ardemment désiré, lorsqu’il vit, courtisa et épousa lady Harriett Woodstock.

Cette jeune dame appartenait à une famille médiocrement riche et de date récente ; elle poursuivait, comme sir Lionel, le rêve de parvenir à la réputation d’être de la fashion. Mais il ignorait qu’elle se donnait tant de mal pour y arriver. Il vit qu’elle était admise dans la bonne société et il s’imagina