Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/161

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duisait une abondante transpiration chez ce pauvre gentleman. Russelton au contraire semblait goûter une fraîcheur délicieuse, et se tenait penché sur le feu comme un concombre sur sa couche. Sir Willoughby s’arrêta tout d’un coup, hors d’haleine, et tenta d’ouvrir la fenêtre.

« Que faites-vous ? pour l’amour de Dieu, que faites-vous ? cria Russelton avec un soubresaut ; est-ce que vous voulez me tuer ?

— Vous tuer ? dit sir Willoughby avec effroi.

— Oui, me tuer ! N’est-ce pas assez déjà du froid qui règne dans ce maudit port de mer, sans aller encore ouvrir mon humble retraite à tous les courants d’air déchaînés ? Est-ce que depuis six mois je n’ai pas un rhumatisme dans l’épaule gauche et la fièvre dans le petit doigt ? Faut-il encore que vous veniez terminer tout d’un coup ma misérable existence en ouvrant cet abominable châssis ? De ce que vous, naturel du Yorkshire, grand, gros, fort et imperméable, vous ne craignez ni vent ni pluie, s’ensuit-il que moi, John Russelton, je sois aussi impénétrable, et que vous puissiez impunément permettre aux vents d’est de venir se jouer dans ma chambre comme des enfants, traînant après eux rhumes, asthmes et catarrhes ? Je vous prie, sir Willoughby Townsend, de vouloir bien permettre que je meure d’une mort plus naturelle et plus civilisée. » Et ce disant, Russelton se laissa retomber dans son fauteuil, d’un air épuisé.

Sir Willoughby, qui se souvenait des beaux jours de gloire de cet humoriste, et qui le vénérait comme un temple où la divinité respire encore quoique ses autels soient renversés, ne fit à cette remontrance d’autre réponse qu’un long soupir suivi de ces mots : « Bien, Russelton, calmez-vous ; c’est égal, vous êtes un drôle d’original. »

Russelton se tourna alors vers moi et m’invita avec un air de langueur féminine, à m’asseoir auprès du feu. Comme je suis naturellement frileux, et que j’aime à battre les gens sur leur propre terrain, j’approchai ma chaise tout près de l’âtre, déclarant que le temps était très-froid, et je demandai la permission de sonner pour avoir du bois. Russelton me regarda pendant un moment, puis avec une