Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/162

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politesse qu’il n’avait pas daigné montrer jusque-là, il approcha son siège du mien, et entama une conversation que, malgré ses saillies de mauvais goût et la bizarrerie de ses manières, je trouvai singulièrement intéressante.

On annonça le dîner et nous passâmes dans une autre pièce. Ce pauvre sir Willoughby, avec son gilet déboutonné, et soufflant comme un roquet phthisique, se mit à grogner quand il vit que la salle à manger était encore plus petite et plus chaude que la chambre que nous venions de quitter. Russelton lui servit aussitôt de la soupe bouillante et lui dit, en lui faisant offrir du piment par le domestique :

« Vous voyez, mon cher Townsend, que c’est là un potage bien approprié à la rigueur de la saison. »

Le dîner se passa assez tranquillement, à part l’agonie de notre gros ami, dont Russelton savourait à loisir les souffrances. Les côtelettes de mouton dont on nous avait menacés ne firent pas leur apparition ; le dîner, quoique un peu maigre, était bien préparé et encore mieux servi. Le pauvre baronnet se leva de table au dessert et, prétextant une indisposition subite, se dirigea vers la porte.

Quand il fut sorti, Russelton se renversa en arrière sur sa chaise et se mit à rire pendant plusieurs minutes, d’un rire étouffé et convulsif, au point que les larmes lui en vinrent aux yeux.

Après quelques plaisanteries sur sir Willoughby, la conversation tomba sur d’autres personnes. Je ne tardai pas à voir que Russelton était un homme aigri et désappointé ; ses remarques sur le monde étaient autant de sarcasmes, son esprit était plein de fiel et débordait ; il mordait en grondant. Jamais homme au monde, j’en suis convaincu, n’est devenu vraiment philosophe dans la solitude et la retraite. Les gens qui, pendant des années, n’ont été occupés que de frivolités, n’ont pas la grandeur d’âme voulue pour devenir indifférents aux petites choses qu’ils ont convoitées toute leur vie, et dont ils ont fait l’unique objet de leur ambition.

« Avez-vous lu les mémoires de… ? me dit M. Russelton. Non. Eh bien ! je croyais qu’il n’y avait personne qui ne les eût au moins feuilletés. J’ai eu parfois l’idée d’utili-