Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/163

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ser ma retraite, en écrivant les événements de ma vie. Je pense que je pourrais ainsi jeter sur les choses et les hommes un nouveau jour qui ferait fuir dans leur trou mes contemporains comme des hiboux.

— Votre vie, lui dis-je, devrait fournir en effet la matière d’un livre aussi instructif qu’amusant.

— Ah ! répondit Russelton ; amusant pour les sots et instructif pour les fourbes. Je suis un exemple lamentable d’ambition déçue. Si toutes les cravates d’Angleterre sont aujourd’hui empesées, c’est à moi qu’on le doit, et je finis ma carrière en nouant ma cravate à Calais devant un miroir de trois pouces de large. Vous êtes un jeune homme, monsieur Pelham ; vous ne faites qu’entrer dans la vie, probablement avec les mêmes dispositions (quoique dans des conditions plus favorables) que moi-même. Peut-être en ne faisant qu’obéir à un sentiment de vanité personnelle, ma conversation cependant ne vous sera-t-elle pas inutile et vous dédommagera-t-elle de ne m’entendre parler que de moi.

« Je suis venu au monde avec un amour désordonné de la gloire et une grande admiration pour l’originalité ; ces penchants auraient pu faire de moi un Shakspeare, ils firent plus, ils firent de moi un Russelton ! À l’âge de six ans je coupai ma jaquette en forme d’habit, et du meilleur jupon de ma tante je me fis un gilet. À huit ans je dédaignais de parler comme le vulgaire, et quand mon père me disait d’aller lui chercher ses pantoufles, je lui répondais que j’avais l’âme trop haut placée pour m’abaisser aux fonctions d’un laquais. À neuf ans j’étais déjà presque initié aux convenances. Je repoussais la bière avec un air de dignité offensée, et j’aimais le maraschino à la folie. Je mourais de faim à la pension, cependant je ne voulus jamais manger une miette de pudding, et je donnais douze sous par semaine sur vingt-cinq que j’avais à dépenser, pour faire cirer mes souliers. À mesure que je grandissais, le cercle de mes idées s’étendait. Je me livrais sans réserve à l’ambition qui me dévorait ; je laissai là mes anciens amis qui étaient des envieux et non des émules de mon génie, et j’employai trois marchands à la confection de mes gants :