Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/164

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l’un pour la main, l’autre pour les doigts, et le troisième pour le pouce. Cette conduite remarquable me valut d’être courtisé et admiré par une nouvelle classe de gens. Car le grand secret pour être courtisé c’est d’éviter les autres et de paraître enchanté de soi-même ; et c’est tout simple, à qui diantre voulez-vous plaire, si vous ne vous plaisez pas à vous-même ?

« Avant de quitter le collège, je devins amoureux. Tout autre garçon de mon âge en pareille occurrence se fût cru obligé de gémir, de laisser croître sa barbe en signe de désespoir, et de faire des vers. Je ne fis rien de tout cela ; si pourtant, j’essayai de faire des vers, mais à ma grande surprise, je découvris que mon génie n’était pas universel. Je débutais ainsi :

Douce nymphe pour qui je réveille ma muse.

« Cela commençait bien, mais il fallait trouver une rime pour le second vers, et je ne sais pourquoi le maudit mot de soulier qui ne rimait guère avec muse me revenait toujours en tête. Toutes mes autres tentatives furent couronnées d’un égal succès : par exemple ayant mis fleur à la fin d’un vers, je terminai le suivant par machine à vapeur ; je faisais rimer désespoir avec soir et bocage avec potage. Bien convaincu enfin que la poésie n’était pas mon fort, je redoublai d’attention à ma toilette.

« Je reportai sur mes habits et sur ma cravate toute la force d’inspiration qu’avaient vainement réclamée mes vers ; en somme, je pensais que la meilleure preuve que je pusse donner à ma Dulcinée de la vivacité de ma passion pour elle, c’était de lui montrer combien je ressentais d’affection et de vénération pour moi-même.

« Ma maîtresse ne put s’empêcher de m’admirer mais elle me refusa son amour. Elle convenait que M. Russelton était l’homme le mieux mis de toute l’université, et qu’il n’y avait pas de mains plus blanches que les siennes ; deux jours après cet aveu, elle se faisait enlever par un grand garçon joufflu du Leicestershire.

« Je ne lui en voulus pas ; j’en eus pitié ; mais à dater de