Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/165

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ce jour je fis vœu de ne jamais redevenir amoureux. J’ai tenu mon serment, quoiqu’il m’en ait coûté, et je me suis vengé sur toutes les personnes du sexe de l’insulte que l’une d’elles m’avait faite.

« Avant de commencer le rôle que je devais jouer le reste de ma vie, j’étudiai avec attention le caractère de mes futurs spectateurs. Je vis que les Anglais les plus fashionnables avaient un respect servile pour le rang et cédaient facilement devant des prétentions hautement déclarées. Je reconnus qu’ils n’admiraient les gens qu’autant qu’ils avaient de belles relations ; et qu’ils faisaient la courbette devant quiconque avait une haute opinion de lui-même. La première chose à faire était de connaître le grand monde, la seconde de le diriger. J’étais bien mis et j’avais de beaux chevaux, cela suffisait pour me faire bien venir des jeunes gens. J’étais mauvaise langue, et j’avais l’air de ne m’étonner de rien, c’était plus qu’il ne fallait pour me faire admirer des matrones. C’est un célibataire et une femme mariée qui tiennent les clefs de la société. L’entrée m’en fut bientôt ouverte ; et bien plus, je ne tardai pas à y occuper une place choisie ? Je fus aussi vite imité qu’initié. Je faisais rage, j’étais le lion. Pourquoi ? Étais-je meilleur, plus riche, plus beau, plus habile que les autres gens de mon espèce ? non, non (et ici Russelton grinça des dents avec un air de rage et de mépris). Et quand j’aurais été tout cela, quand j’aurais été un résumé de toutes les perfections humaines, je n’aurais pas été à moitié aussi apprécié que je l’étais. C’était (je veux vous dire à vous, monsieur Pelham, le secret véritable de mes succès), c’était parce que je marchais sur eux que, semblables aux herbes odorantes, ils m’envoyaient leurs parfums en retour.

« Oh ! c’était, pour mon esprit aigri et dégoûté, une joie enivrante que de voir ces mêmes hommes qui m’auraient repoussé avec hauteur s’ils l’avaient osé, se tordre sous la lanière de mon fouet immobile dans ma main ou que j’agitais à mon gré. J’étais un magicien qui tenais enchaînés des génies impatients de me mettre en pièces, par le seul charme de mon audace sans égale ; et Dieu sait si j’en usais.