Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/179

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Je me félicitai autant d’avoir vaincu cette difficulté, que si j’avais remporté la plus belle victoire ; c’est que, en effet, inoffensif ou sanguinaire, à la guerre comme dans une élection, le triomphe qui flatte le plus notre vicieuse nature, c’est la conquête de nos semblables.

Mais il faut retourner à notre marchand de vins, M. Briggs. Sa maison était à l’entrée du bourg de Buyemall, entourée d’un petit jardin où brillaient des crocus et des tournesols ; à droite s’élevait un berceau sous lequel, le soir, en été, on pouvait voir le respectable propriétaire du lieu, avec son gilet déboutonné. Ce respectable bourgeois ne dédaignait pas dans ces moments de calme et de bien-être, de demander à la bienfaisante herbe de Virginie quelques moments de rêveries célestes et de douce contemplation. Là, tout en lançant des bouffées de fumée, en regardant ses crocus aux brillantes couleurs, et en songeant vaguement à ses commandes du jour, M. Briggs roulait dans sa tête des idées vastes sur l’importance qu’avaient l’empire Britannique, le bourg de Buyemall, et dans le bourg de Buyemall l’honorable John Briggs.

Je frappai, et la porte me fut ouverte par une gentille petite servante qui me sourit gentiment. Je fus introduit dans un petit parloir où était assis, sirotant un verre de grog, une espèce d’individu, gros, court, monosyllabique, dont la tournure répondait parfaitement au nom de Briggs. Il n’y avait pas à s’y tromper.

« M. Pelham, me dit ce gentleman, qui portait un habit de drap brun, un gilet blanc, une culotte chamois à longues jarretières et des guêtres de même couleur et de même étoffe que la culotte, veuillez vous asseoir, pardonnez-moi si je ne me lève pas ; je suis comme l’évêque du conte, monsieur Pelham, je suis trop vieux pour me lever ; » et là-dessus M. Briggs fit entendre un petit rire saccadé et plaintif, auquel je répondis naturellement par le plus bel éclat de rire dont je fusse capable.

Je n’eus pas plus tôt commencé à rire que M. Briggs s’arrêta court, me lança un regard pénétrant et inquisiteur, secoua la tête et recula sa chaise de trois ou quatre pieds. « Voilà un mauvais présage, me dis-je, il faut que je sonde