Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/20

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisait bien les calembours ! ce n’est pas chose amusante, surtout à dîner, que les faiseurs de calembours. Monsieur Davison, qu’est-ce que c’est que ce plat qui est tout près de vous ?

Salmis de perdreaux aux truffes, répondit l’économiste, bien connu pour sa gourmandise.

— Des truffes ! dit M. Wormwood, est-ce que vous en avez mangé ?

— Oui ! dit Davison avec une énergie inusitée, et ce sont les meilleures que j’aie goûtées depuis longtemps.

— C’est très-possible, dit Wormwood, d’un air abattu. Je les aime beaucoup, mais je me garde bien d’y toucher ; les truffes portent terriblement à l’apoplexie, je ne dis pas cela pour vous, car je pense que vous pouvez en manger en toute sûreté. »

Wormwood était un homme grand et maigre, avec un cou long d’une aune. Davison était, je l’ai dit, court et gras, on ne lui voyait pas le cou, et il avait la tête dans les épaules comme une morue.

Ce pauvre M. Davison tourna au blanc le plus mat ; il s’agita sur sa chaise, et lança un regard d’effroi et de colère à ce plat qu’il regardait naguère avec amour ; puis murmurant le mot « apoplexie » il demeura bouche close et ne desserra plus les dents de tout le dîner.

M. Wormwood avait atteint son but. Il avait mis mal à l’aise et réduit au silence deux personnes, et répandu un nuage de tristesse sur tout le monde. Le dîner se termina, comme tous les dîners ; les dames se retirèrent, et les hommes se mirent à boire et à parler politique. M. Davison quitta la salle le premier pour aller regarder le mot Truffe dans l’Encyclopédie ; lord Vincent et moi sortîmes ensuite, de peur, suivant l’expression caractéristique de mon compagnon, que si nous restions un moment de plus, « ce diable de Wormwood ne nous envoyât coucher tout en larmes. »