Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/244

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cochers assoupis et jetait une tristesse argentée, sur deux gardiens de nuit qui nous regardèrent, à ce qu’il nous sembla, d’un air de défiance et de soupçon.

Nous continuâmes ainsi à errer, jusqu’au moment où nous fûmes arrêtés par une foule d’un aspect misérable rassemblée à la porte d’une boutique triste, sombre et mélancolique, où brûlait une chandelle solitaire dont la mèche fumeuse luttait d’une façon désordonnée contre un terrible vent d’est. Sur les visages hagards et fatigués des gens qui se tenaient devant cette porte se peignait une expression générale et communicative de souffrance famélique, d’anxiété et d’envie, qui prédominait tellement au milieu des caractères variés de toutes ces physionomies, qu’elle leur imprimait à tous comme un cachet de famille, ou plutôt c’était comme le sceau dont le démon, non pas l’archi-démon, Lucifer, mais un de ses bergers subalternes, aurait marqué son troupeau.

Au milieu de cette foule, je découvris plus d’un visage que j’avais vu souvent dans mes pérégrinations équestres à travers la ville, porté sur les épaules d’un gueux importun, quelque ouvreur de portières, criant d’une voix lamentable, impitoyable :

« Voulez-vous que je tienne votre cheval, monsieur ? »

Le reste se composait de femmes d’un aspect triste et repoussant, de vieux vagabonds dont la face desséchée par la famine, les yeux chassieux, les joues pendantes, les membres tremblotants indiquaient assez qu’ils étaient atteints de ces maladies mortelles qui se nomment désespoir, abandon, manque de pain. Çà et là éclatait avec un accent irlandais quelque juron, auquel répondait la voix aiguë et cassée de quelque prêtresse décrépite et infatigable du plaisir (le plaisir ! ) Mais le caractère principal de cette foule, c’était le silence, un silence triste, passionné, absorbant. Et au-dessus de cette scène, la lune brillait tranquille et calme, heureuse de sa gloire sans tache et de sa divine auréole si pure, comme insensible à toutes les passions, à toutes les misères, à tous les vices de la pauvre humanité. Nous restâmes quelque temps à contempler le groupe qui était devant nous, puis nous nous attachâmes aux pas d’une