Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/260

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que cela se voit dans Marmontel et dans miss Edgeworth.

— Non, répondit vivement Vincent, les meilleurs romans ne prouvent pas grand’chose, ou plutôt ils ont tous le même objet, c’est de nous faire mieux connaître le cœur humain. C’est là la philosophie du roman. Quiconque parvient à nous montrer ce que nous sommes et à nous découvrir à nous-mêmes le secret de notre nature, a bien mérité de la science et de la vertu, car toute vérité est une leçon de morale. Ce but si grand et si universel, se trouve selon moi, plutôt rétréci qu’étendu par la préoccupation exclusive de cette moralité unique dont vous parlez.

« Ainsi Dryden, dans ses essais sur l’histoire de la satire, préfère à bon droit Horace à Juvénal, au point de vue de l’instruction, parce que les satires variées du premier sont dirigées contre tous les vices, tandis que celles du second, plus exclusives en général, ne s’attaquent qu’à l’un d’eux. Toute l’humanité, voilà le champ que les romanciers doivent cultiver, toute la vérité, voilà la morale qu’ils doivent chercher à méditer. C’est dans le dialogue, dans les maximes semées çà et là, dans les déductions tirées des événements, dans l’analyse des caractères qu’ils doivent par occasion instruire et moraliser. Ce n’est pas tout, — et je voudrais qu’un romancier qui vient de paraître récemment sur l’horizon voulût bien retenir ceci : — Ce n’est pas tout, pour un écrivain, d’avoir le cœur bien placé, d’être aimable et sympathique, d’avoir ce qu’on appelle des sentiments élevés, il faut encore qu’il sache mettre en relief une moralité vraie en elle-même ou utile, et profitable à la condition qu’on l’inculquera au lecteur. Avant de commencer à écrire, il faut qu’il connaisse à fond les opérations les plus abstraites et les plus métaphysiques de l’esprit. Si son instruction n’est pas à la fois profonde et précise, son amour pour le bien ne servira qu’à l’égarer, et il se pourra qu’il fasse passer les préjugés d’un cœur trop sensible pour les préceptes mêmes de la vertu. Plût à Dieu qu’on regardât comme nécessaire de s’instruire avant de prétendre instruire les autres. Dire simplement que la vertu est vertu parce qu’elle est bonne en son fonds, et le vice tout au contraire, ce n’est pas les faire