Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cher, cher Glanville, lui dis-je tout ému, pouvez-vous parler ainsi ? Vous avez tout l’avenir devant vous !

— Oui, me dit-il, tout, vous avez raison, car tout ce qui me reste est dans le tombeau. Croyez-vous que je jouisse d’aucun des trésors que la fortune a accumulés autour de moi ? Croyez-vous que j’aie une seule joie, un seul moment de satisfaction parmi les mille plaisirs que les autres hommes ont en partage. Quand m’avez-vous vu heureux un seul moment ? Je vis comme si j’étais sur un rocher aride, nu, désolé, séparé du reste de l’humanité. Il ne me restait plus qu’une seule chose qui me rattachât à la vie, lorsque vous m’avez vu à Paris. Je suis dégagé de ce côté et maintenant ma vie est sans but et sans utilité. Le ciel est miséricordieux ; encore un peu de temps, et cet état de fièvre et d’inquiétude cessera. »

Je pris sa main et la serrai.

« Tâtez, me dit-il, cette peau sèche et brûlante, comptez les pulsations de mon pouls pendant une minute et vous cesserez de me plaindre et de me parler de vivre. Il y a des mois que j’ai le jour et la nuit une fièvre qui me consume, qui me brûle la poitrine, et le cœur ; le feu travaille bien, et le brasier est près de s’éteindre faute d’aliment. »

Il s’arrêta et nous demeurâmes silencieux.

J’étais frappé de la fièvre que je sentais à son pouls, non moins qu’affecté du désespoir qu’annonçaient ses paroles. À la fin je lui parlai de prendre l’avis des médecins.

« Crois-tu, me dit-il d’une voix sombre et solennelle, qu’on puisse soulager un cœur malade, arracher de la mémoire… Ah ! arrière, ce souvenir, » et il se leva du sofa, alla à la fenêtre, l’ouvrit et s’y appuya en silence. Quelque temps après il se retourna vers moi, ses manières avaient repris leur calme habituel. Il me parla de l’impatiente motion que l’on préparait et promit de s’en occuper ; peu à peu j’amenai la conversation sur sa sœur.

Il m’en parla avec enthousiasme.

« Comme Hélène est belle ! me dit-il, sa physionomie reflète son âme tout entière. Ses pensées sont si pures, que toutes ses impulsions sont la vertu même. Jamais femme n’a été si naturellement bonne. Le vice paraît être quelque