Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/273

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quelques mauvaises actions. Eh bien ! j’en ai chassé le souvenir, tout en me considérant par cela même comme averti pour l’avenir. De même que le corps, sans se rendre compte de ce que lui a appris progressivement l’expérience, repousse machinalement ce qui lui serait nuisible, ainsi l’esprit éloigne de lui ce qui l’a affligé ; et cela, par une sorte d’instinct, et sans avoir besoin de se représenter nettement ses anciens sujets d’affliction.

« Le philosophe romain mettait tout le secret du bonheur dans une seule maxime : ne pas s’étonner. Je n’ai jamais bien compris la moralité de cet axiome, le mien serait, « ne jamais regretter. »

— Hélas ! mon cher ami, dit Glanville, nous sommes de grands philosophes avec les autres, mais non avec nous-mêmes ; dès que nous ressentons un chagrin, adieu la sagesse. Le temps seul console : vos maximes sont fort sages, mais elles me confirment dans mon opinion, à savoir que nous tenterons en vain de trouver des préceptes certains pour la direction de notre esprit, tant que notre esprit sera sous la dépendance de notre corps. Le bonheur comme le malheur est inné chez quelques personnes, et c’est en cela seulement que ces personnes ne sont point soumises aux circonstances extérieures. Faites que tous les hommes aient la même constitution, le même corps, que tous aient la même susceptibilité nerveuse, la même fidélité de mémoire, alors je vous accorderai que vous pouvez établir des règles applicables à tous les hommes. En attendant, votre maxime « ne jamais regretter » est aussi vaine que celle d’Horace, « ne jamais s’étonner ; » peut-être est-elle bonne pour vous, mais elle ne l’est pas pour moi. »

La voix de Glanville s’était affaiblie sur ces derniers mots et je ne voulus pas continuer plus longtemps cette discussion. Les yeux d’Hélène rencontrèrent les miens et son regard était si bienveillant, si reconnaissant pour ainsi dire que je me sentis transporté dans un autre monde. Quelques instants après, on annonça un ami de lady Glanville et je me retirai.