Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/54

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poliment de vouloir bien se déranger ; il ne me répondit pas. Avec la meilleure volonté du monde je ne pus m’empêcher de le pousser légèrement. À l’instant même il se leva de table en colère, et toute la société suivant son exemple fut aussitôt debout. La jambe offensée frappa trois fois le parquet et je fus immédiatement assailli d’une bordée d’injures inintelligibles. À cette époque j’étais très-peu accoutumé à la véhémence française, et absolument incapable de répondre aux invectives que je recevais.

Au lieu de répondre je me demandai aussitôt ce que j’avais de mieux à faire dans la circonstance. Si j’ai l’air de vouloir m’en aller, me disais-je, ils vont me prendre pour un couard, et ils m’insulteront dans la rue. Si je les défie, il faudra que je me batte avec des espèces de boutiquiers ; si je frappe celui d’entre eux qui crie le plus fort, il arrivera de deux choses l’une ; ou bien il se taira, ou bien il me demandera raison. Dans le premier cas, tout sera pour le mieux ; dans le second, eh bien ! j’aurai une meilleure excuse que maintenant pour me battre avec lui.

Ma résolution fut prise. Jamais de ma vie je ne m’étais senti moins en colère, et ce fut avec le plus grand calme et la plus parfaite tranquillité, que je l’interrompis au beau milieu de sa harangue par un coup de poing qui l’étendit par terre.

Il se releva à l’instant. « Sortons, dit-il à voix basse, on ne frappe pas impunément un Français ! »

À ce moment un Anglais qui était resté inaperçu dans un coin obscur du café, se leva et me prenant à l’écart :

« Monsieur, me dit-il, vous ne pouvez pas vous battre avec cet homme, c’est un petit marchand de la rue Saint-Honoré ; je l’ai vu de mes propres yeux à son comptoir ; souvenez-vous qu’un bélier peut tuer un boucher.

— Monsieur, lui dis-je, je vous remercie mille fois de vos renseignements. Quant à me battre, je le dois, et je vous donnerai, comme l’Irlandais, mes raisons après : peut-être voudrez-vous bien être mon second ?

— Avec plaisir, » me dit l’Anglais (un Français aurait dit : avec regret).

Nous sortîmes tous ensemble du café, mon compatriote