Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/58

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C’était à la fois le plus instructif et le plus gai des compagnons. Quand il se trouvait seul avec moi ou avec des gens qui me ressemblaient, son pédantisme prenait (plus ou moins car il était toujours pédant) la forme de la plaisanterie. Avec les savants et les beaux-esprits, il devenait grave, sévère et sarcastique. Il était plutôt porté à contredire qu’à appuyer les opinions ordinaires, et par cela même, entraîné trop souvent à émettre des paradoxes. Pourtant la solidité de ses raisonnements même les plus véhéments, et la force d’esprit qui lui permettait de ne penser que par lui-même, éclataient dans toutes ses productions. Je n’ai jusqu’ici montré qu’une des faces de sa conversation. Dorénavant j’aurai assez souvent l’occasion de m’y appesantir et de la présenter de temps en temps au lecteur avec une physionomie plus grave.

Sous la surface de ce caractère, se cachait profondément une ambition inquiète ; peut-être, à cette époque, n’en avait-il pas lui-même conscience. Nous ne connaissons le secret de notre propre nature qu’avec le temps ; si nous sommes sages, il faut nous en savoir gré à nous-mêmes ; si nous sommes grands, il ne faut en savoir gré qu’à la fortune.

Ce fut cette connaissance que j’avais du caractère de lord Vincent qui décida de notre intimité. Je reconnaissais dans cet homme qui jusqu’alors s’essayait à jouer un rôle, une ressemblance avec moi-même ; lui de son côté, peut-être, vit que je n’étais pas seulement le petit-maître et l’homme de plaisir que je voulais paraître, quant à présent.

Lord Vincent était petit et sa tournure manquait d’élégance, mais il avait une physionomie pleine de finesse ; ses yeux étaient noirs, brillants, pénétrants ; son front haut et pensif corrigeait le sourire enjoué de sa bouche qui, sans cela, aurait donné à ses traits une trop grande expression de légèreté. Il n’était pas positivement mal mis, mais il dédaignait tous les artifices de la toilette, il était propre et cela lui suffisait. Voici quel était son costume habituel : un habit brun beaucoup trop grand pour lui, une cravate de couleur, un gilet à petits pois, un pantalon gris et des guê-