Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/67

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que. Il aimait la plaisanterie, le vin et les bons dîners, absolument comme aurait fait un homme gras ; on croyait voir une antithèse vivante quand on entendait une bonne histoire, ou un mot plaisant s’échapper gaillardement de cette grande bouche tordue ; c’était à la fois du pathos et du paradoxe, quelque chose comme la souris sortant de son trou dans la cathédrale d’Ely.

J’ai dit que cette gravité était le caractère principal de la physionomie de M. Margot ; je me trompais ; il avait deux autres traits tout aussi caractéristiques : l’un était une admiration ardente pour les actions chevaleresques, l’autre une admiration ardente pour lui-même. Ce sont là des traits assez communs du caractère français ; mais en les poussant à l’extrême M. Margot sortait du commun. C’était le plus parfait modèle du chevalier amoureux, un mélange de Don Quichotte et de Lauzun. Quand il parlait du temps présent, il jetait toujours un regard sur le passé et racontait une anecdote sur Bayard. Quand il conjuguait un verbe, il s’arrêtait pour me dire que le verbe favori de ses élèves du sexe féminin était je t’aime.

Enfin il racontait, sur ses bonnes fortunes et sur les exploits de quelques autres personnes, des histoires qui, sans aucune exagération, étaient aussi longues et aussi peu substantielles que lui-même. Ses bonnes fortunes étaient du reste son thème favori. À l’entendre, on aurait pu croire que son visage en empruntant la finesse d’une aiguille à boussole, en avait emprunté aussi la vertu magnétique ! telle était la gentillesse et la modestie de M. Margot !

« C’est fort extraordinaire, me disait-il, fort extraordinaire ! car je n’ai guère le temps de m’occuper de ces sortes d’affaires ; ce n’est pas, monsieur, comme si j’avais des loisirs à consacrer à tous les petits préliminaires par lesquels on fait naître une belle passion. Non, Monsieur, je ne puix pas aller à l’église, au théâtre, aux Tuileries, pour goûter un instant de repos, que je ne sois partout accablé par ma bonne fortune. Je ne suis pas beau, Monsieur, du moins, pas très-beau ; il est vrai que j’ai de l’expression, un certain air noble (mon cousin germain, Monsieur, est le chevalier de Margot) et surtout de l’âme dans