Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/97

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le régiment douteux, et quittèrent le champ de bataille. Je n’étais pas disposé le moins du monde à tomber dans un violent désespoir pour si peu ; aussi restai-je assis à la fenêtre, prenant ma limonade et murmurant : « Après tout, les femmes ne sont qu’un ennui ! »

En dehors du cabaret et juste devant ma fenêtre, il y avait un banc que, moyennant quelques sous, on pouvait accaparer pour soi seul ou sa compagnie.

Un homme et une femme vinrent s’y asseoir.

Les premiers sons de la voix de l’homme, quoiqu’il parlât très-bas, me firent bondir hors de ma place. Je lançai un regard rapide au dehors, et je me rassis. Je venais de voir l’Anglais que j’avais rencontré dans le jardin, et la femme qui l’avait rejoint.

« Deux cents livres sterling, dis-tu ? murmura l’homme, il faut que nous ayons tout !

— Mais, reprit la femme, à voix basse, il dit qu’il ne veut plus toucher à une carte. »

L’homme se mit à rire. « Folle ! lui dit-il, les passions ne se domptent pas aussi facilement. Combien y a-t-il de jours qu’il a reçu d’Angleterre ce restant de comptes ?

— Trois jours, reprit la femme.

— Et c’est bien là tout ce qui lui reste de sa fortune ?

— Tout.

— Je suppose alors, que, quand il aura dépensé cet argent, il sera réduit à la mendicité.

— Sans doute, dit la femme avec un demi-soupir. »

L’homme rit de nouveau, puis reprit sur un autre ton :

« Alors, alors, cette soif brûlante qui me dévore sera enfin étanchée. Je vous le dis, femme, il y a des mois que je n’ai pas connu un jour, une nuit, une heure, où ma vie ait été semblable à la vie d’un autre homme. Mon âme tout entière s’est fondue en une seule pensée ardente : touchez cette main, ah ! vous tremblez ; eh bien ! cette fièvre brûlante n’est rien, auprès du feu intérieur qui me dévore ! »

Ici sa voix devint si basse que je ne pus plus l’entendre. La femme avait l’air de s’efforcer de le calmer ; à la fin elle lui dit :